Beaucoup de juifs ont cessé de croire en Dieu après la Shoah, cependant que d’autres ont fait le chemin inverse. Mais Yeshayahou Leibowitz, philosophe, scientifique, juif orthodoxe, adepte et exégète de Maïmonide, pense que ceux qui quittent comme ceux qui adhèrent à la religion sur base d’évènements terrestres ne saisissent pas l’essence du judaïsme, et se trompent probablement de religion.
En transposant Maïmonide en termes modernes, on peut dire que le monde est contingent, qu’il aurait pu ne pas être, ou être différent, ou sans hommes, ou sans vie, ou sans matière, ou encore sans rayonnement. Dieu en revanche est immuable, mais c’est parce qu’il ne fait pas partie du monde, n’étant ni éternel ni mortel puisqu’il se situe en dehors du temps.

Beaucoup de juifs croient avec ferveur à un Dieu anthropomorphique qui récompenserait les justes et punirait les méchants. Il y a là un paradoxe parce que bien que Maïmonide constitue la référence majeure du judaïsme, beaucoup de croyants ne sont pas vraiment imprégnés de sa théologie.

Le philosophe Hans Jonas a écrit un opuscule intitulé « Le Concept de Dieu après Auschwitz », où il exprimait le besoin de repenser Dieu après la Shoah. Il y explique que face au mal absolu que représente Auschwitz, il y a lieu de repenser le rapport à Dieu parce que la réalité des camps d’extermination nazis s’accommode mal d’un Dieu attentif à ce qui déroule au monde.

Hans Jonas constate qu’il n’y eut pas d’intervention divine lors de la Shoah, mais l’attribue à la Contraction (Tsimtsoum, dans le langage de la Kabbale) de Dieu et non pas à son absence dans l’absolu. Confronté à cette Contraction, le monde fonctionnerait donc selon des lois de la Nature uniquement. C’est d’une certaine manière la conception de Spinoza, tout comme celle de Lucrèce bien avant lui. Sauf que Spinoza ne voit là rien de temporaire et y trouve la base de sa dénonciation du monothéisme.

Le judaïsme de Hans Jonas n’est pas conforme à Maïmonide, et lui est même contraire, bien qu’il soit cité à plusieurs reprises dans son ouvrage. Hans Jonas avance que le concept traditionnel de Dieu veut qu’il soit le Seigneur de l’Histoire, et qu’il porte le souci de ses créatures, ce qui d’après lui relèverait des principes de la foi juive. Il propose donc de réfléchir à l’idée de Dieu qu’il convient de se faire après la Shoah, ou il s’avère qu’il n’a mis en œuvre ni sa bonté ni porté le souci de ses créatures. Mais c’est antithétique de la pensée de Maïmonide, qui pense que Dieu ne s’est jamais manifesté nulle part depuis que le monde est monde. Ce géant de la pensée du 12e siècle n’a donc pas attendu la Shoah pour dire que Dieu n’intervenait ni dans l’Histoire ni dans la Nature. La Kabbale à laquelle se réfère Hans Jonas est aux antipodes de la pensée de Maïmonide. Du point de vue de Leibowitz c’est une forme d’idolâtrie, c’est-à-dire une pratique contre laquelle, justement, le judaïsme a été conçu dès le départ.

Mais si comme le dit Maïmonide, Dieu ne fait pas partie du monde, si on ne peut pas parler de lui, ni lui parler, s’il n’influe en rien sur la Nature ni sur l’Histoire, on peut se demander à quoi cela peut-il bien servir de le servir. Et quand bien même cela servirait-il à quelque chose, par quel moyen peut-on déterminer si les Commandements tels que prescrits par le judaïsme correspondent bien au service de Dieu.

La réponse juive à cette question est que certains hommes arrivent à prendre de la distance par rapport à eux-mêmes à un degré tel, que tout ce qu’ils expriment relève de la vérité absolue, c’est-à-dire de ce qui ne dépend pas des sens mais de l’intellect. Ces hommes exceptionnels sont ceux que l’on appelle improprement les « prophètes », qui ne sont pas des diseurs d’oracle au sens grec du terme, mais qui ont une perception tellement aiguë de la réalité qu’ils arrivent à anticiper ce qui est susceptible d’arriver.

Ce sont ces prophètes qui ont tracé le long chemin de la tradition juive. Le premier et le plus grand d’entre eux fut Moïse, supposé avoir écrit la Thora. Maimonide explique que Dieu ne s’est jamais réellement adressé à lui, pas plus qu’aux autres prophètes, et que tout ce qui pourrait suggérer une telle communication doit être compris au sens métaphorique. Il en fait dans son ouvrage-clé « Le Guide des Égarés » une exégèse complexe, robuste, méthodique et cohérente, où il intègre la linguistique de manière itérative et approfondie afin de démontrer la nature poétique, allégorique et didactique du Récit Biblique.

L’homme ne doit donc en jamais s’attendre à des phénomènes qui défieraient les lois de la Nature. Cette manière de voir les choses n’est ni simple ni facile à accepter pour le croyant sincère, mais au moins a-t-elle le mérite de rendre le silence de Dieu plausible. C’est en tout cas le message de Maïmonide, et l’explication du silence de Dieu de tout temps.

Vu sous cet angle, il n’y a ni plus ni moins de raisons de croire en Dieu après la Shoah.

Daniel Horowitz

Le Monde.fr

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zemer

les Amis,

toutes « analyses » ou « études » du Créateur et de Sa Parole sont comme un amuse gueule avant de passer au repas de Sa présence. et la! les genoux fléchissent et toute notre connaissance, comme notre orgueil, nous semble infantile et inutile. les larmes coulent et notre bouche proclame: pardonne moi Adonaï je te prie de faire ta volonté dans ma vie.

c’est ainsi qu’on reconnait un homme de Dieu. par son humilité et non pas par sa connaissance.

et certainement pas par son orgueil.

Jean

 » Les élucubrations des uns et des autres ne tiennent pas compte de la lecture de la Bible d’une manière littérale telle que le préconise Moïse Maïmonide.  » Abraham9

Qui êtes vous donc , Abraham 9 , pour qualifier les propos des uns et des autres d’élucubrations ? Qu’est ce qui vous permet de dire que la lecture littérale serait la bonne ? Et la contextualisation , et la mise en perspective et les liens avec l’histoire réelle , qu’en faites vous ? C’est avec des zozos et avec des prétentieux comme vous ,dont la place aurait été dans l’ex et défunt parti communiste , que les gens deviennent mécréants et athées ;avec un criticisme pseudo scientifique que Kant et l’école de Marbourg (Hermann Cohen ),plus tard Jacob Gordin , Emannuel Lévinas ou André Néher , gens que vous ne paraissez pas connaître ont envoyé aux poubelles ,très justement .

Vous me faîtes penser à Spinoza ..en modèle plus que réduit .

Beurkkkkkk

Abraham9

J’ai lu avec beaucoup d’attention l’article : « Comment croire en Dieu après la Shoah. » Les élucubrations des uns et des autres ne tiennent pas compte de la lecture de la Bible d’une manière littérale telle que le préconise Moïse Maïmonide. La lecture attentive de la 1er rencontre de la Divinité avec Moïse sur le mont Horeb serait très instructive. A laquelle, si vos lecteurs n’auraient pas compris le message ils pourraient ajouter la lecture de la dédicace que fit le roi Salomon lors de l’inauguration du Temple dans la cité de David.

Jean

Qu’on m’excuse , je voulais dire Jacques Grober ,parti si tôt .

Jean

Je suis complètement d’accord avec vous , cher ami,

Car ce sont les détracteurs du monothéisme juif, les »aïeux » des détracteurs actuels d’Israel et de Tsahal qui ont fini ,à force de le répéter , par nous faire distinguer un monde soit disant réel ,matériel ,et un monde ,qu’ils ont appelé de façon ironique , moqueuse , surnaturel .

Je suis persuadé que l’intervention du créateur ,qui aime ce monde_ sinon pourquoi l’aurait il créé ?_est fréquente PAS SYSTEMATIQUE car la liberté humaine , logiquement , donne un sens à sa création humaine ,je pense, création qui ne peut que lui être chère

Et il ne peut être omniscient à la manière dont l’Islam le pense .

Les signes de sa manifestation sont constants à qui veut scruter avec attention la réalité mais aussi l’histoire.

Un seul exemple :pourquoi Hitler ,contre l’avis de son état major ,a t il attaqué l’U.R.S.S. en Juin 41 sans s’être préalablement accordé avec les Japs qui,eux ,pouvaient prendre les sovietos à revers plutôt qu’attaquer les U.S.A.en décembre de la même année divisant ainsi les forces ?

C’est un non sens complet que les historiens ,de gauche bien sûr ,mettent sur le compte de son tempérament orgueilleux et dictatorial .

C’est aberrant car ,jusqu’à un certain stade ,il était sensé et quelque peu cadré par ses hauts officiers .

Or cette confusion l’a précipité dans la nasse et le bourbier de l’hiver et de la steppe russes .

S’il n’avait pas multiplié les fronts et avait poursuivi ses alliances rouées ,il aurait tout emporté ,une grande partie des populations lui étant acquises ,la lâcheté des uns et des autres ,aurait fait le reste .

D. est intervenu ,portant atteinte au principe de liberté humaine

Qui lui est cher,qui est essentiel,comme le disent les théologiens et les philosophes et je pense à Duns Scott , ce philosophe écossais du 13ème siècle qui nous mit en garde contre cette subordination du créateur de l’univers _dont un des attributs est la LIBERTE ABSOLUE (faute de quoi il ne serait pas D. ) _à nos conceptions historisées et variables du bien .

Car il fallait mettre le holà à l’horreur

Vous direz alors ,comme d’autres : »Et pourquoi tous ces morts ,tous ces innocents ? »

Savez vous où sont ces disparus ? Savez vous quels sont les desseins de D.,vous qui ne parlez ,comme moi que quelques langues , qui ne voyez ni le moindre atome ni la moindre cellule ? Vous qui avez une finitude ?Connaissez vous , chers amis ,ce généreux penseur ,Alain Finkelkraut ,qui nous dispense ses belles leçons ,d’une belle voix ,qui pourfend nombre de ces voyous qui sévissent sur les ondes nous rappelant ,par un usage fréquent du mot notre finitude (nos limites), eh bien ,un cancer virulent a failli l’emporter ;et cela n’a pas épargné Charles Mopsick cet érudit de la Cabale , mon jeune voisin à qui j’ai eu l’occasion de dispenser quelques cours de Français ni Jacques Goldberg ,ce chantre du Klezmer qui me fit l’honneur de m’inviter à son domicile d’Issy les Moulineaux un certain samedi soir d’un mois de Juin aussi chaud que l’est notre Avril 2011…

Oui nous ne sommes pas grand chose en ce monde ,comme l’a « psalmodié  » François de Montcorbier , dit François Villon ,qui ,je crois ,ne connut jamais ses chers parents .

Ne soyons pas exigeants,en sommant ,tels des enfants gâtés, en demandant impatiemment au créateur et bienfaiteur de ce monde de nous livrer d’un coup ,en vrac les mystères de cet univers , et encore plus ,celui de notre présence .

Hag Sameah Lepessah

zemer

Comme beaucoup des juifs israéliens, j’ai été séduit par la sagesse et les pragmatisme d’Yeshayahou Leibowitz. mais aujourd’hui je suis en complet désaccord avec son discourt.

1. Dieu d’Israël n’est PAS indifférent car Il dit:
Car je connais les projets que j’ai formés sur vous, dit l’Éternel, projets de paix et non de malheur, afin de vous donner un avenir et de l’espérance.
Vous m’invoquerez, et vous partirez; vous me prierez, et je vous exaucerai.
Vous me chercherez, et vous me trouverez, si vous me cherchez de tout votre cœur.
Je me laisserai trouver par vous, dit l’Éternel, et je ramènerai vos captifs; je vous rassemblerai de toutes les nations et de tous les lieux où je vous ai chassés, dit l’Éternel, et je vous ramènerai dans le lieu d’où je vous ai fait aller en captivité. (Jérémie 29: 11-14)

2. loin de moi de comprendre tout les raisonnements d’Adonaï mais je refuse un Dieu détaché car Il m’a touché et je vie une relation personnelle avec Lui. Car je Le cherche de tout mon cœur.

3. La Bible n’est pas un mythe! Elle est la Parole de Dieu. et Il est fidèle a SA Parole.