Probable reliquat d’une ancienne littérature sémitique cultivant un genre profane. Le seul qui nous soit parvenu.
LE CANTIQUE DES CANTIQUES.
Du lyrisme amoureux au lyrisme religieux.

Conférence du 20 juin 2013.
À 19 heures 30
Salle des mariages.
Mairie du XVIe arrondissement de Paris

Question du plan, qui est plus compliqué que celui du livre de Job, qui, lui, est clair.

L’ordre chronologique de l’action est entièrement inversé.

Une citation de Renan : «Il vaut mieux que l’humanité ait espéré le Messie que, bien entendu, tel endroit d’Isaïe où elle a cru le voir annoncé ; il vaut mieux qu’elle ait cru à la résurrection que bien lu et bien compris tel passage obscur de Job sur la foi duquel elle a fondé sa délivrance future.

Où en serions-nous si le christ et les fondateurs du christianisme eussent été d’aussi bien meilleurs philologues que Gesenius (le grand lexicographe hébraïsant allemand, et nous a adonné le dictionnaire portant son nom) ?

Chacun, d’ailleurs, impose sa foi aux textes, bien plus qu’il ne l’y puise.

Pour moi, mon but n’a pas été de soustraire à la vénération l’image devenue sainte, mais de la dépouiller un moment de ses voiles pour la montrer aux amateurs de l’art antique dans sa chaste nudité. .

R. traduit ALAMOT par jeunes filles.
Ct 6 ; 12 : Lo yad’ati/ je ne savais pas, j’ai agi par étourderie.

Point capital : Le bien-aimé n’est pas le roi Salomon qui lui veut obtenir les faveurs de la jeune bergère qui en aime un autre. Renan s’est beaucoup inspiré d’un célèbre devancier allemand, Heinrich EWALD, Das Hohelied Salomo’s, Göttingen, 1826. Qui lui servira aussi de source pour sa propre Histoire d’Israël.

Salomon qui ne comprend rien à la fidélité de la jeune bergère oppose au lit de verdure des amoureux les lambris de cèdres et les poutres de cyprès de son sérail.

Chaque fois que l’auteur du poème met en scène le roi Salomon, il le fait détonner en quelque sorte et le montre en contradiction avec les sentiments de la jeune fille.

VOICI, l’économie des 23 premiers versets analysés jusqu’ici :

Une jeune vigneronne, enlevée à son village, est introduite de force dans le harem de Salomon. Restant étrangère à ce qui l’entoure, elle garde toutes ses pensées pour un amant qu’elle a laissé aux champs. En vain, Salomon lui promet de parures et lui fait des compliments sur sa beauté. Pendant que le roi est absent, elle s’abandonne à l’espoir de revoir son amant. Elle croit qu’il va venir, mais c’est Salomon qui se présente et qui cherche à gagner ses faveurs. suit un dialogue où la jeune fille répond aux compliments de Salomon par des traits qui, en réalité, se rapportent à son amant. Un mot, peut-être un couplet que chante la jeune fille amène subitement l’amant en scène.

Les deux amants se réunissent ; leur imagination et celle des spectateurs se transportent à la campagne. L’amant est censé introduire son amie dans le cellier de la ferme où ils se sont connus. L’amante s’évanouit dans les bras de son amoureux.

Deux traits essentiels de composition de l’auteur :
1/ les changements de lieu opérés en imagination.
2/ la tendance à suppléer par des récits à ce que les moyens dramatiques ne rendent pas parfaitement.

On appelle la jeune fille, la SULAMITE ; ceci nous rappelle une certaine Abisag ha-sunnamite du livre des rois (pour David) . Cette Sulamite cause la perte d’Adonias fils de David.

Cette jeune fille, la sunamite, fut, alors qu’elle se promenait parmi les fleurs, enlevée par les gens de Salomon.

L’expression hébraïque Bi-meholat ha-mahanayim signifie : dans une ronde d’un double chœur.

Renan pense qu’elle est comparable à la bayadère, la danseuse sacrée de l’Inde.

le 1er acte s’étend de I;2 à II ;7
le second de II,8 à III,5
le troisième de III,6 à V,1
le quatrième de V,2 à VI ;3
le cinquième de VI,4 à VIII,7
l’épilogue de VIII,8 à VIII, 14.

Dans toute l’histoire juive, avant Hérode, il n’y a pas une trace de théâtre à Jérusalem, même aux époques où cette ville suivit les voies les plus profanes.

Les deux seuls grands théâtres originaux de l’antiquité, le théâtre grec et le théâtre hindou, sortent directement de la mythologie et y prennent tous leurs sujets : ce n’est que fort tard qu’on en vient à fonder des drames sur de simples fictions de fantaisie. Le monothéisme, en étouffant les développements de la mythologie, devait atrophier du même coup chez les Sémites le théâtre et la grande poésie de récit.

Tout nous autorise à dire que les représentations théâtrales n’eurent à Jérusalem aucun caractère public. Donc, le scénario du Cantique des cantiques était présenté dans des cercles privés.

Le cantique des cantiques doit donc être envisagé comme tenant le milieu entre le drame régulier et l’églogue ou la pastorale dialoguée.

Le plus célèbre des jeux d’Adam d’Arras, dit le bossu, le jeu de Robin et de Marion, (vers 1240) analogue parfait du cantique.

Le titre actuel shir ha-shirim a été ajouté à une époque assez tardive avec l’attribution à Salomon.

Jérémie 25 ; 10 Kol hatan we-Kol kalla renvoie peut-être au Cantique des Cantiques qui portait probablement ce titre-là.

Renan place ce Cantique au Xe siècle avant JC ; c’est peu probable. Certains indices insinuent dans ce sens mais d’autres aramaïsme comme ‘ad shé pointent une époque plus récente. (IVe siecle)

Jamais nous ne croirons que des compositions toutes profanes comme notre poème, comme le livre de job, aient été le fruit d’une époque de rabbinisme et de petitesse d’esprit, telles que furent celles d’Esdras et même de Josias et de jérémie.

Toutes les œuvres libres et larges du génie hébreu, œuvres que j’appellerai plus volontiers sémitiques que juives, en ce sens que les peuples voisins de la Palestine possédaient une semblable littérature et que l’on n’y trouve pas le cachet spécial de l’esprit juif, doivent être placées avant le temps de la vocation religieuse d’Israël.

L’exégèse allégorique du poème commença de se former un siècle avant et un siècle après l’avènement du christianisme.

La langue hébraïque du poème incline vers l’araméen, signe du royaume du Nord car l’hébreu de Jérusalem était plus pur, plus classique.

Nous pensons donc avec Herder, Ewald, de Wette, b. Hirzel, Hitzig, à placer la composition du cantique des cantiques peu de temps après le schisme, c-à-d vers le milieu du Xe siècle AJC.

Royaume du Nord ; toutes les localités citées sont du Nord : Saron, Galaad, Thersa, le Liban, Amana, Hermon, Sanir, Sarmel, Baalhaman, Sulem ou Salem.

L’interprétation allégorique a pour corollaire la canonicité des livres saints où rien de profane ne devait figurer. C’est à ce prix que le livre ne fut pas sacrifié, car si on l’avait éliminé le patrimoine littéraire et religieux mondial eût perdu un de ses plus beaux joyaux.

Chez les chrétiens, Origène fut le premier à donner du poème une explication entièrement allégorique. Il avait été devancé par le Docteur talmudique des Ecritures Rabbi Aqiba, contemporain de Bar Kochba, qui avait décidé que ce Cantique des Cantiques était comparable au Saint des Saints (Kodésh ha-lodashim). ET le contexte dans lequel il s’exprima laisse penser que dans les mariages à Jérusalem, certains chantaient le cantique pour animer les noces. Lorsque le courant charismatique et religieux prit le dessus et transforma le peuple d’Israël de simples cultivateurs et bergers en prêtres et en assemblée religieuse, le statut du Cantique des cantiques dut changer au plus vite. D’où sa spiritualisation.

Job, les Proverbes et l’Ecclésiaste sont moraux mais non religieux.

Théodore de Mopsueste (en Cilicie; 350-428) et Sébastien Castalion (1515-1563) ont soutenu que le cantique des cantiques était un livre profane.

Le Cantique est un livre profane, mais ce n’est pas un livre frivole.

Renan trouve «le cantique, entendu dans son sens naturel, bien plus sacré que d’autres livres dont on est moins embarrassé que le livre d’Esther, par exemple, dur, orgueilleux, cruel, hautain, d’où Dieu est si absent (c’est le seul livre de la Bible où D.ieu n’apparaît jamais. Renan pense que le cantique est fort important pour l’honneur du peuple juif en ce sens qu’il montre dans l’esprit hébreu des qualités que sans cela, on n’eût pas soupçonnées. Sans le cantique, on aurait cru que le cœur de ce peuple ne faisait aucune place à la tendresse. Ce poème prouve que, si la lutte grandiose ou s’engagea Israël étouffa, à partir d’une certaine époque, la partie purement humaine de son développement, cette partie du caractère hébreu avait en son temps produit sa fleur.

L’Israël devenu peuple de Dieu ne doit pas nous faire oublier l’Israël du temps des patriarches, l’Israël, tribu arabe dont l’esprit se continua surtout dans le Nord, et au sein, duquel s’épanouit librement toute une vie profane, éclipsée dans la suite par l’éclat incomparable de sa vocation religieuse.»

Ce jugement de Renan est un peu abrupt et il faut le prendre cum grano salis. Renan a, certes cruellement critiqué le christianisme mais il en a conservé une certaine aversion concernant le judaïsme rabbinique, coupable de ne pas avoir suivi le message de Jésus. Renan part de présupposés qui n’ont pas toujours été repris par la critique biblique ultérieure, plus sobre et dénuées de préjugés anti-rabbiniques, même si le célèbre sémitisant du Collège de France n’avait pas entièrement tort lorsqu’il rejetait le «sérieux judaïque». Il a néanmoins raison sur un point : le Cantique des Cantiques est sûrement le dernier vestige d’un Israël paysan ou païen, non encore enveloppé par la théologie deutéronomiste aux yeux de laquelle toute littérature est nécessairement de nature religieuse et ne laisse aucune place au lyrisme amoureux, c’est-à-dire au profane.

Mais comme ce rouleau du Cantique a, contre toute attente, été retenu par la commission qui a établi le canon des vingt-quatre livres de la Bible hébraïque, il a bien fallu en convertir le contenu. Comment ? Par une interprétation allégorique qui voyait dans le berger et sa bergère le couple formé par Dieu et son peuple Israël, ou celui formé par l’Eglise et son sauveur, le Christ. Même les philosophes juifs du Moyen Âge n’ont pas dérogé à cette règle puisqu’ils ont choisi d’y lire les doctrines spéculatives sur l’âme humaine. En l’occurrence notre intellect hylique, engagé dans la matière, tente de parvenir au degré le plus élevé de la condition humaine, en s’alliant avec l’intellect agent, dernière intelligence cosmique préposée au gouvernement de notre monde, le monde sublunaire. C’est pour cette raison que la philosophie médiévale parle de la conjonction de notre intellect avec l’intellect agent. Après tout, ce type d’union est aussi un acte d’amour, mais intégralement spiritualisé.

Ernest Renan cite dans sa traduction une belle phrase d’un grand critique biblique allemand, Fr. Niebuhr : «Pour moi, j’estimerais qu’il manque quelque chose à la Bible s’il ne s’y trouvait une expression pour le plus profond et le plus fort des sentiments de l’humanité.

L’amour.

Le Cantique des Cantiques, traduction et commentaire d’Ernest Renan (Paris, 1860 ; rééd. Arléa, 1995)

Maurice-Ruben HAYOUN

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