En Afrique du Nord, les islamistes modérés accèdent au pouvoir après de nettes victoires électorales. Plus au sud, les islamistes armés multiplient les attaques dans le Sahel, au Nigeria et en Somalie. 2012, année islamiste. Pour le meilleur ou pour le pire?

2011 fut l’année des Révolutions. 2012 sera celle des islamistes. Après les despotes laïcs, voilà les « barbus ». Petit tour d’horizon des nouvelles terres des « fous d’Allah ».

Tsunami islamiste en Afrique du Nord

Encore une fois, c’est la petite Tunisie qui a donné le tempo. Après avoir été le premier pays arabe à déboulonner la statue de son chef suprême, Ben Ali le 14 janvier, le peuple tunisien a donné la majorité de ses votes aux islamistes d’Ennahda lors des législatives du 23 octobre.

Logiquement, les dirigeants d’Ennhada ont raflé les principaux ministères dans le nouveau gouvernement, tout en se voulant rassurant vis-à-vis des pays occidentaux et de la France en particulier.

Le ministre de l’Intérieur est Ali Larayedh, un islamiste ayant connu la prison pour ses opinions. Au sein de l’appareil sécuritaire du pays, tout le monde n’a pas dû l’accueillir avec le sourire. Sous le régime laïc de Ben Ali, les islamistes étaient traqués sans ménagement, la torture régulièrement dénoncée.

Le respect des droits de l’Homme (et surtout de la femme), la liberté de pratiquer sa religion, qu’elle soit musulmane, chrétienne ou juive ainsi que la liberté de la presse seront observés avec beaucoup d’attention.

Les premiers pas du nouveau gouvernement seront essentiels.  Le Premier ministre, Hamadi Jebali, a déjà fait une grosse gaffe juste après la victoire d’Ennahda en octobre, en évoquant la mise en place d’un « califat » dans ce pays, considéré comme un des plus libres, des plus tolérants du monde arabe.

Certains ont toussé, d’autres ont quasiment faillé s’étrangler… Mais il est vrai qu’Ennahda doit satisfaire sa base, nettement plus conservatrice que ses dirigeants, tout sourire devant les journalistes occidentaux.

L’Assemblée constituante devra s’atteler à écrire une nouvelle Constitution. Les laïques seront très vigilants sur la place qui sera donnée à la religion dans les textes fondamentaux, notamment le code de la famille, le statut de la femme et l’éducation.

Certains salafistes égyptiens veulent imposer le port du voile pour les femmes, l’interdiction de l’alcool et du maillot sur les plages. Si ces mesures sont appliquées, elles vont mettre en grand danger le tourisme, au pays des Pharaons comme en Tunisie.

Et dans ces deux pays, le secteur touristique est un des moteurs d’une économie ayant accusée le choc des révolutions arabes, et avec un taux de chômage parmi les jeunes en hausse constante.

Après la Tunisie, les Islamistes ont remporté au Maroc les législatives et sont sur le point de le faire en Egypte. Mais faut-il nécessairement s’en inquiéter?

Certains analystes ont comparé la montée en puissance de ces islamistes modérés à l’accession au pouvoir en Europe de la démocratie-chrétienne  après la Seconde guerre mondiale.

En Europe, les démocrates-chrétiens ont consolidé la démocratie, favorisé une période de croissance économique exceptionnellement longue (les Trente glorieuses) et ont fait sortir les femmes de la cuisine.

Si les islamistes d’Afrique du Nord s’engagent sur cette voie, personne ne sera inquiet.

«Jihad»  africaine?

De nombreux observateurs ont longtemps répété que l’Afrique subsaharienne était immunisée contre les dérives sectaires de l’islam, mettant en avant la tolérance de son islam largement soufi. Le Sénégal était (et est toujours) cité en exemple pour sa bonne coexistence entre catholiques et musulmans.

Mais les choses sont en train de changer au Sud du Sahara. Les milices Shebab en Somalie et les combattants du mouvement islamiste nigérian Boko Haram nous rappellent quasiment tous les jours que les « fous de Dieu » peuvent aussi être des Subsahariens.

Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), à l’origine constitué exclusivement de radicaux algériens, recrute de plus en plus en Mauritanie, au Mali et au Niger.

Que s’est-il donc passé pour que certains craignent même une « Afghanisation » du Sahel?

Cette mer de sable est rapidement devenue en grande partie une zone grise échappant à tout contrôle étatique, lieu de tous les trafics, et notamment de la cocaïne sud-américaine ou de l’héroïne asiatique en transit pour les lucratifs marchés européens.

Mais aussi  un lieu de ventes d’armes en tout genre, chacun faisant son marché dans la Libye post-Kadhafi.

Pourquoi les autorités de Bamako ont-elles laissé le Nord du pays aux mains des trafiquants et d’Aqmi? Il doit bien y en avoir certains qui y trouvent leurs intérêts…

Quel est le rôle dans la bande sahélo-saharienne d’un pays comme l’Arabie Saoudite, pourtant officiellement un des alliés des Occidentaux, notamment de Washington?

Cette même Arabie Saoudite qui finance à grands coups de pétrodollars des centaines, des milliers d’écoles coraniques et de mosquées dans ces pays pauvres, y apportant toute la rigueur du courant wahhabite.

Plusieurs observateurs soulignent qu’une nouvelle génération d’islamistes radicaux a été scolarisée dans ces écoles religieuses, dont l’enseignement est si peu contrôlé par l’Etat, fréquentent ces mosquées avec des imams très conservateurs.

En Haoussa, langue parlée au nord du Nigeria et au sud du Niger, le nom de Boko Haram signifie « l’éducation occidentale est un péché ». On ne saurait être plus clair…

Mais ce qu’il y a d’encore plus inquiétant, c’est les liens de plus en plus forts entre les trois composantes de ces nouveaux acteurs d’une éventuelle « Jihad africaine ».

Boko Haram a ainsi revendiqué cet été des liens avec les Shebab somaliens, affirmant que plusieurs de ces combattants étaient revenus au pays après avoir reçu une formation.

Quelques semaines plus tard, le groupe nigérian frappait fin août le siège de l’ONU au cœur de la capitale Abuja, lors d’une attaque particulièrement audacieuse.

Tous les spécialistes sont d’accords: Boko Haram s’est « professionnalisé », a changé de dimension ces derniers mois. Jusqu’à récemment, les attaques étaient menées à la kalachnikov, l’arme du pauvre.

Aujourd’hui, les attentats sont lancés avec des véhicules bourrés d’explosifs conduits par des kamikazes. Comme Aqmi ou Al-Qaïda en Afrique de l’Est.

Et les Chrétiens dans tout ça?

La victoire des islamistes en Egypte n’est pas une bonne nouvelle pour de nombreux Coptes. Et la montée en puissance de Boko Haram fait craindre des violences interconfessionnelles au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec 160 millions d’habitants, également répartis entre chrétiens et musulmans.

L’Afrique de 2012, et son milliard d’habitants, compte autant de fidèles de Jésus que de Mahomet.

L’Afrique émergente, qui lutte toujours et encore pour sortir de la pauvreté la grande majorité de sa population, n’a surtout pas besoin d’une guerre de religion en 2012.

Adrien Hart

Slate Afrique.com

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