Une semaine après l’accord qualifié d’historique entre l’Iran et les « 5 +
1 », bien des questions sont en suspens. L’effort nucléaire iranien est à
peine endigué et le retournement géopolitique de Téhéran demeure
improbable. Le « rééquilibrage » des Etats-Unis doit inciter leurs alliés à
plus d’efforts.
L’accord de Genève sur le nucléaire iranien

Un défi pour les alliés des Etats-Unis

Une semaine après l’accord qualifié d’historique entre l’Iran et les « 5 + 1 »
(les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne),
l’enthousiasme est retombé. De fait, le texte signé le 24 novembre dernier
n’est qu’un accord provisoire, objet d’interprétations opposées. Selon John
Kerry, le secrétaire d’Etat américain, cet accord ne reconnait pas à l’Iran le
droit d’enrichir de l’uranium mais Mohammed Javad Zarif, son homologue
iranien, en a une tout autre lecture. Désormais, il faut appliquer les
engagements pris par les signataires et négocier le règlement de ce conflit.

A l’évidence, le démantèlement des installations iraniennes n’est pas encore acquis. Plus largement, la volonté américaine d’insérer l’Iran dans un « grand arrangement » moyen-oriental, afin de pouvoir se redéployer en Asie- Pacifique, pose question. C’est là un défi pour les alliés des Etats-Unis, en Europe comme au Moyen-Orient.

L’endiguement plutôt que le refoulement

Si l’on en croit les porte-paroles des parties prenantes et le mainstream
médiatique, l’accord de Genève aurait posé les bases d’une prochaine
résolution de la crise nucléaire iranienne, voire du conflit géopolitique que
les ambitions régionales de Téhéran ont provoqué. Du côté iranien, le régime chiite-islamique s’engage à suspendre l’enrichissement de l’uranium au-delà de 5 % ainsi qu’à neutraliser le stock enrichi à 20 %. Il cessera d’accroître le nombre des centrifugeuses, interrompra la construction du complexe d’Arak (filière « plutonium ») et coopérera avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), celle-ci devant inspecter journellement les sites de Natanz et Fordow (le site de Parchin n’est pas mentionné). Du côté des « 5 + 1 », une partie du dispositif qui sanctionne les agissements iraniens sera provisoirement allégée, ce qui assurera à Téhéran le déblocage d’un total de onze milliards de dollars, soit l’équivalent de trois mois de sanctions internationales. Nombre de diplomates, de techniciens du nucléaire et de commentateurs affirment que le tout devrait barrer l’accès à l’atome guerrier.

La seule transformation de cet accord partiel en accord définitif suffirait-elle
donc à la tâche? Dès lors, pourquoi affirmer que le plus dur reste à
négocier ?

Divers points mériteraient précision, l’approche d’ensemble étant sujette à
caution. Il est entendu que l’accord de Genève n’est que provisoire – les six
mois qui s’ouvrent sont censés permettre d’aller au fond des choses –, mais ce premier texte détermine les bases de la prochaine négociation. Or, il appert que bien des éléments sont en deçà des exigences formulées dans les résolutions des Nations unies et les plans de règlement précédemment
avancés par les « 5 + 1 ». L’accord ne stipule pas de droit à l’enrichissement, ce qui est conforme au traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Pourtant, dans les faits comme dans le texte, l’enrichissement à 5 % est acté, ce qui donne crédit à l’interprétation iranienne. Quant à l’évacuation, hors du territoire iranien, des stocks enrichis à 20%, il n’en est plus question. Au total, Téhéran ne démantèle pas son complexe nucléaire et continue à enrichir de l’uranium. La marche vers le nucléaire militaire est momentanément entravée, ce qui relève d’une logique de containment, non pas de roll-back. Concrètement, l’Iran demeure donc un « Etat du seuil », avec les effets politiques corrélés. Etait-ce là l’objectif initial des « 5 + 1 » ?

Seront-ils capables de faire respecter, sur la longue durée, le dispositif
d’inspection des installations iraniennes ? On se souvient de Saddam
Hussein, longtemps en mesure, malgré ses défaites militaires, de jouer au
chat et à la souris avec la Communauté internationale. Ce précédent n’est
pas de bon augure.

L’improbable « hégémonie bienveillante » de l’Iran

Au vrai, Barack Obama entend rallier Téhéran au seul nucléaire civil en lui
ouvrant de nouvelles perspectives : l’insertion de l’Iran dans le concert des
nations, son intégration aux jeux de l’échange ainsi qu’un rôle majeur dans
le nouvel équilibre régional. L’argumentaire du « grand arrangement » est
volontiers repris, avec arguments historiques à l’appui. Pourtant, quel
objectif global pourrait susciter le ralliement de Téhéran? La paix et la
prospérité en elles-mêmes ? Cela impliquerait une transmutation du régime
chiite-islamique, l’histoire contemporaine n’offrant guère d’exemples de ce
type. En 1972, la Chine de Mao s’est engagée dans un retournement
géopolitique majeur, l’existence d’un ennemi commun à Pékin et Washington suscitant la chose. Dans le cas présent, quel ennemi commun? Quant aux réformes de Deng Xiaoping (1980), leurs développements n’ont pas emporté le « totalitarisme de basse intensité » du système chinois. Dans la région Asie-Pacifique, la Chine est depuis devenue le compétiteur stratégique des Etats-Unis. Pour appuyer l’idée d’un retournement iranien, d’aucuns se réfèrent plutôt à Mikhaïl Gorbatchev. Pourtant, la perestroïka (1985-1991) se termine par l’implosion de l’URSS et un vaste « regime change » dans l’aire post-soviétique. Si Rohani est un Gorbatchev iranien, l’urgence n’est pas de spéculer sur l’« hégémonie bienveillante » de l’Iran, mais d’anticiper le point de rupture et ses contrecoups. Par ailleurs, les dirigeants de la Russie post-soviétique ont tôt fait de travailler à la reconstitution d’une force d’opposition à l’encontre de l’Occident.

Au regard des précédents historiques, le scénario du « grand arrangement » n’est pas convaincant mais il y a bien une volonté américaine de forcer le
destin. Ce volontarisme vise à identifier des points d’équilibre entre les
alliances régionales d’une part (Israël, Arabie saoudite, régimes arabes
sunnites), un possible partenariat irano-américain d’autre part. L’idée
directrice est de stabiliser le Moyen-Orient pour rééquilibrer moyens et
efforts vers l’Asie-Pacifique. Encore en suspens, la question du nucléaire ne
sera donc pas le seul test d’une politique iranienne conforme aux attentes.

Il y faudra un relâchement des liens avec le Hezbollah, un soutien beaucoup moins affirmé au régime syrien et la fin des menaces de destruction de l’Etat hébreu. Les observateurs du théâtre géopolitique régional ne décèlent pas les signes avant-coureurs de ce retournement stratégique. Le seul objectif d’auto-conservation du régime chiite-islamique peut-il seulement inspirer une telle reconfiguration ? Ne projette-t-on pas sur l’Iran nos propres espérances politico-stratégiques ? A Téhéran, l’absence de frappes sur le dispositif syrien est interprétée comme un signe de faiblesse. En Syrie, la balance des forces penche du côté de Bachar Al-Assad et au Liban, le Hezbollah conserve ses positions. Ces évolutions sont plutôt à l’avantage du régime chiite-islamique iranien. Il reste les sanctions, dont l’effet est peut-être sous-estimé, mais la nature du régime demeure la même.

Le partage des responsabilités internationales

Certes, la thèse du « pivot » américain vers l’Asie-Pacifique est réductrice, le mot, désormais remplacé par « rééquilibrage », pouvant fausser l’optique : la mondialisation est aussi un phénomène géostratégique et les Etats-Unis ont une vision globale des enjeux. Pourtant, la montée en puissance de la Chine et les conflits autour des « méditerranées asiatiques » (mers de Chine orientale et méridionale) tendent à accaparer l’attention des Américains. En retour, ils veulent aller vite au Moyen-Orient et sont en quête d’une solution globale. Le diable se cachant dans les détails, une certaine précipitation pourrait mettre à mal la lutte contre la prolifération, affaiblir les alliances et accroître l’instabilité.

Si la possibilité d’une intervention israélienne sur les sites iraniens est
régulièrement évoquée, l’attitude de l’Arabie saoudite, mécontentée par l’allié américain, et les initiatives qu’elle pourrait prendre le sont moins. Au-delà des convergences tactiques entre Riyad et Jérusalem, il faudra donc observer la coopération politico-militaire entre l’Arabie saoudite et le Pakistan, y compris sur le plan nucléaire. Enfin, l’Europe est à portée de tir du Moyen- Orient et elle ne saurait fonder sa sécurité sur la seule appréciation américaine des enjeux. Les gouvernements européens, en national comme à travers les instances euro-atlantiques, doivent s’investir plus encore dans la région. L’heure est au partage du « fardeau » et des responsabilités
internationales.

Jean-Sylvestre Mongrenier
Chercheur associé à l’Institut Thomas More Article original

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