De l’insurrection du 19 août à la reddition allemande du 28 août, retour sur dix jours qui resteront dans les mémoires.

Menés entre le 19 et le 28 août 1944, les combats et manœuvres pour la libération de Marseille débutent bien avant l’arrivée dans la cité phocéenne des forces alliées débarquées dans la nuit du 15 août sur les côtes de Provence, lors de l’opération Dragoon.

En effet, bien décidée à rompre le joug que lui impose l’occupant allemand, une partie de la population a pris les choses en mains dès le 19 août avec le déclenchement par la CGT clandestine d’une grève générale.

Sentant le vent tourner, les Allemands évacuent alors leurs positions du centre-ville pour se replier sur leurs points d’appuis fortifiés, tandis que les Forces françaises de l’intérieur (FFI) commencent à harceler leurs positions dans les quartiers périphériques, à Saint-Loup, Saint-Tronc, Sainte-Marguerite, le Merlan, Château-Gombert et Saint-Antoine, récupérant à chaque assaut victorieux des armes et des munitions.

20 000 citoyens sont bientôt dans l’action, active ou passive, pour réduire ou désorganiser l’occupant.

Quand Marseille brisait ses chaînes à la Libération - 3

Le 23 août, vers 10 heures du matin, le général Joseph Jean de Goislard de Monsabert qui commande la 3e Division d’infanterie algérienne (DIA), forte de 15 000 hommes, est en mesure d’établir son poste de commandement dans un immeuble de la rue Armény.

Ses ordres sont clairs : pas de raid aérien dévastateur ni de recours massifs à l’artillerie afin d’éviter les dommages collatéraux, mais au contraire une intervention ciblée de fantassins appuyés par des blindés.

Seul l’archipel du Frioul sera la cible des forteresses volantes afin qu’elle fasse taire les puissants canons de marine. Pour Montsabert, l’un des objectifs prioritaires est la colline de La Garde.

Il s’agit en effet d’un point haut à partir duquel, retranchés dans des abris souterrains, les Allemands coordonnent les tirs de leurs batteries du Frioul, de la Côte Bleue et de l’Estaque.

Ensuite, parce que compte tenu de sa signification pour la population marseillaise, la prise de ce lieu hautement emblématique peut créer un nouvel élan et faire basculer la bataille.

Côté alliés, la victoire est belle mais le bilan humain est lourd avec 616 militaires et FFI tués

Une bataille qui s’annonce pourtant des plus incertaines car, face à De Montsabert, le général Schaefer peut compter sur près de 16 000 hommes appartenant à la 244e division de la Wehrmacht (armée de terre allemande) et à des unités de la Kriegsmarine (marine), pour la plupart retranchées à la gare Saint-Charles, autour de la basilique de la Garde, dans les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas, mais aussi au Prado ou encore dans la base sous-marine Martha. S’y ajoutent une cinquantaine de batteries côtières.

Ce même 23 août, le commandant Chappuis lance son 7e Régiment de tirailleurs algériens (RTA) dans la bataille. L’hôtel des Postes alors occupé par les Allemands, est pris par la 2e compagnie du lieutenant Reiber, laquelle fait prisonnier 108 Allemands conduits sous bonne garde par le sous-lieutenant Herbelin au PC du régiment qui se trouve dans une école, derrière l’église des Réformés.

Dans l’après-midi du 25 août, le 3e RTA appuyé par le 4e escadron du 2e Régiment de cuirassiers réduit au silence la batterie de Gratte Semelle, capturant 40 officiers et 911 hommes de troupe. Le 2e RC va alors soutenir l’assaut en vue de délivrer la « Bonne Mère » (lire ci-dessous).

Deux jours plus tard, le 27 août, les tabors marocains attaquent avec succès le fort Saint-Nicolas, soutenus par des chars. Le lendemain, la forteresse du Racati est la dernière à rendre les armes, au prix de rudes combats dont le commandant Finat-Duclos et le capitaine Gèze ne reviendront pas.

Car si la victoire est belle, le bilan humain est lourd : 106 FFI sont morts au combat mais aussi de nombreux civils qui les avaient rejoints. Quant aux résistants qui préparaient l’arrivée des forces alliées, 38 ont été assassinés les 18 juillet et 12 août dans les bois de Signes. En ville, près de 8 000 habitants ont été tués au cours de sept bombardements et 3 054 sont morts en déportation.

 

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Quant à la 3e DIA, elle déplore la perte de près de 500 hommes, officiers, goumiers, tirailleurs et cuirassiers. Au prix de nombreux sacrifices, d’actes de bravoure et de gestes héroïques, la reddition allemande est finalement obtenue le 28 août, à 8 heures du matin.

L’aboutissement d’une campagne exemplaire, menée en un temps record, qui allait d’ailleurs quelque peu bouleverser le programme de marche établi par les alliés pour la reconquête de la France. Et pour cause : l’état-major pensait que la libération de Marseille ne pourrait pas intervenir avant le 24 septembre…


Prise de Notre-Dame-de-la-Garde : un engagement d’une rare intensité

Sujette à de nombreuses controverses concernant les rôles respectifs des différents acteurs engagés dans l’assaut final, la prise de Notre-Dame-de-la-Garde a fait (et fait encore) couler beaucoup d’encre.

Par son intensité et son issue victorieuse, cet engagement restera néanmoins comme l’un des épisodes les plus forts de la libération de Marseille.

L’action débute le 25 août. Les hommes du 7e RTA attaquent les positions allemandes par la montée de l’Oratoire, les boulevards Gazzino et Vauban ainsi que les rues Jules-Moullet (ex-Cherchell), Dassy et Vauvenargues, appuyés par les chars du 2e RC

Deux tanks Sherman parviennent à s’engager dans la pente, mais l’un d’eux, le Jourdan, saute sur une mine qui le déchenille. Il continue cependant à tirer. Son suivant, le Jeanne d’Arc, est incendié, tuant quatre de ses cinq membres d’équipage.

Certains attribueront cette perte à l’impact d’un obus de 88 mm, d’autres à des grenades incendiaires ayant pénétré par son volet de tourelle. Les versions divergent également quand au fameux épisode du drapeau déployé au sommet de la basilique.

Dans le récit de « La libération de Marseille par les tirailleurs de l’armée d’Afrique« , signé de Louis Simoni, ancien secrétaire général du Comité de coordination des associations d’anciens combattants de Marseille et des Bouches-du-Rhône, c’est le maréchal des logis Louis Lolliot qui, s’étant extrait du Jourdan, et malgré ses blessures, « part seul vers Notre-Dame-de-la-Garde, escorté par un FFI, un drapeau tricolore à la main qu’il va planter à l’entrée de la basilique malgré les tirs ennemis« .

Mais pour le sous-lieutenant André Herbelin, de la 2e compagnie du 7e RTA, dont un cousin nous avait transmis il y a quelques années le témoignage, c’est son sous-officier adjoint, le sergent-chef Duval, qui avec quelques hommes, monte dans le clocher et fait flotter le drapeau français.

Enfin, selon le compte rendu du 7e RTA daté de 1948, c’est l’aspirant Ripoll qui pénétrant dans la basilique, saisit un drapeau français et le fait flotter à 16 h 30 à la basilique, avant d’agiter un quart d’heure plus tard avec le sergent-chef Duval le drapeau du Sacré-Coeur.


Les Marseillais pleurent leur « pont-trans »

Conservateur du patrimoine culturel de la chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence et membre de l’académie de Marseille, Patrick Boulanger revient sur la destruction par les Allemands du fameux pont à transbordeur, cet ouvrage emblématique de la cité phocéenne qui constituait une véritable « Porte de France », visible du large par tous les voyageurs en escale ou en transit à Marseille.

Dessiné par l’ingénieur Arnodin, ce pont à contrepoids et articulations, avait été inauguré en 1905. Il était constitué de quatre pylônes de 86 mètres de haut et d’un tablier s’élevant à 52 mètres au-dessus des flots, ainsi que d’une nacelle basse, commandée électriquement, qui permettait de faire traverser d’une rive à l’autre du Lacydon, piétons et véhicules.

Sa silhouette à nulle autre pareille avait d’ailleurs inspiré de nombreux artistes, comme les peintres Marquet, Dufy et Kokoschka ou les photographes Man Ray, Germaine Krull et Moholy-Nagy. Le pont allait même trouver l’un de ses plus ardents défenseurs en la personne de l’écrivain Walter Lehnau, alors correspondant de guerre pour le magazine de propagande de la Wehrmacht.

S’inquiétant des premières destructions des quartiers du Vieux-Port, ce dernier écrivait alors : « Si on le démolit, on s’en repentira bientôt. Il est un témoin de l’esprit créateur de l’homme, un monument du XXe siècle. Quiconque aujourd’hui le trouve laid comprendra un jour que ce squelette d’acier est animé du souffle divin qui entraîne les hommes dans leurs meilleurs instants. Dans trente ans, on trouvera le transbordeur beau, car alors nos yeux auront appris à saisir la beauté de l’époque des pionniers de la technique.« 

Mais le sort du pont est déjà scellé. En application de la loi sur la mobilisation des métaux, un arrêté de réquisition est pris le 24 décembre 1943 par le ministère français de la Production industrielle qui entend récupérer son millier de tonnes de ferrailles. Puis les événements se précipitent. Alors que les alliés débarqués sur les cotes de Provence approchent de Marseille, le commandement allemand décide de rendre inutilisables tous les bassins et installations du port de Marseille, dynamitant les quais et coulant cargos et paquebots, notamment le Cap Corse de la Compagnie Fraissinet, à l’entrée du Vieux-Port.

Mais ce sabordage est un demi-succès. Le blocage de la passe est incomplet. Les Allemands décident donc d’ajouter un obstacle supplémentaire en y précipitant le pont transbordeur.

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Le général de Monsabert lors du défilé sur le Vieux-Port acclamé par les Marseillais.

Des bâtons de cheddite sont placés au pied des pylônes et aussitôt mis à feu, mais à sa façon, l’ouvrage fait lui aussi de la résistance. Insuffisance des explosifs ? Précipitation des artificiers ?

Toujours est-il que seul le côté nord du pont, situé près de la tour du roi René, se brise, entraînant avec lui une partie du tablier et son restaurant d’altitude.

Les pylônes Sud en revanche sont toujours debout. Or, dans une ville désormais en totale insurrection, les troupes d’occupation stationnées du côté de Saint-Jean ne peuvent plus contourner le plan d’eau pour finir la besogne, même en bénéficiant de la couverture des batteries du fort Saint-Nicolas.

Et il ne leur est plus possible de traverser le Lacydon par la mer. Les autorités locales ayant bien d’autres urgences à gérer, le pont restera en l’état pendant de long mois après la Libération de la ville. Jusqu’à ce que l’Office national des fontes, fers et aciers lance un appel d’offres pour sa démolition et son ferraillage. La population est avertie du dynamitage par les journaux locaux, et le 1er septembre 1945, à 7 h 55 du matin, des artificiers du Génie pétardent le pylône Sud au moyen d’une charge de 400 kg d’explosifs.

Fracturés en trois morceaux, les derniers éléments de la structure s’abattent au sol, certains heurtant dans leur chute les remparts du fort Saint-Nicolas. Tous les débris métalliques sont récupérés et pesés. Quant aux blocs de pierres taillées qui formaient un cercle à la base des piliers, quelques-uns furent remisés sur l’île de Ratonneau, dans l’archipel du Frioul. « Certains s’y trouvent encore, transformés en bancs publics, non loin du centre Léo-Lagrange, précise Patrick Boulanger. Et cela sans que les personnes qui les utilisent se doutent un seul instant qu’ils se reposent sur les derniers vestiges d’une construction associée à tout jamais à l’histoire contemporaine de Marseille« …


Le portrait d’Antoine Mattéi : le jour de trop

Dans l’épopée de la Résistance face à l’envahisseur nazi, les actes de bravoure ne sont plus à démontrer pour que notre pays retrouve enfin sa liberté et sa dignité de vivre, notamment dans les combats pour la libération de Marseille. C’est ainsi que le « Groupe Provence » constitué d’une trentaine de patriotes, sous les ordres de Roger Lazarides dit « Victor », et de son adjoint Ange Mattei « Urbain », eut pour mission de concentrer son action sur la prise de la préfecture. Il convient de rappeler ici le destin d’Antoine Mattei, frère d’Ange, dans ces moments tragiques de la semaine du 21 au 28 août 1944.

Antoine Mattei, né à Marseille le 12 janvier 1907, entrepreneur de peinture, demeurait 4, rue Stanislas-Torrent, tout près de la préfecture. Lors de ses actions avec le Groupe Provence, le 21 août 1944, il pénètre dans la préfecture, gravit les escaliers conduisant au grand balcon, enlève le drapeau à croix gammée et hisse le drapeau tricolore qui gisait au sol. Son bonheur ne dura que deux jours.

En effet, le 23 août, Antoine Mattei fut tué les armes à la main. Alors que le Groupe Provence occupait la préfecture, un résistant est venu demander de l’aide pour l’accompagner jusqu’à la Joliette afin d’essayer de détruire un canon allemand qui empêchait tout déplacement dans la rue de la République. Hélas, à 10 h 30, il fut tué place Estrangin, au côté de son fils.

Aujourd’hui, une rue porte son nom, ainsi que l’école qu’il fréquentait dans sa jeunesse.

Philippe Gallini

www.laprovence.fr

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