La rhétorique récurrente du gouvernement israélien est de clamer que Jérusalem est une et indivisible. Mais sur le terrain, le gap entre arabes de Jérusalem Est et le reste de la population de l’Ouest, permet d’en douter d.

A l’entrée du camp de réfugiés de Shuafat, il y a un barrage routier des FDI (force de défense israélienne). Une unité de la police des frontière est stationnée pas loin. Beaucoup des hauts immeubles dans le camp ont été construits sans permis de construire. C’est une sorte de zone de non-droit, m’explique un soldat. «Les résidents du camp font ce qu’ils veulent. Ils construisent sans permis, font du trafic d’armes. Il y a plein de laboratoires clandestins de drogues illégales. Et personne ne fait rien pour appliquer la loi, il n’y en a pas ici », m’explique un soldat.

Une population de seconde classe

Gihon, la Compagnie Nationale Israélienne des eaux et des eaux usées, a récemment entrepris d’installer de nouvelles canalisations dans le camp. « Il y a souvent des coupures d’eau courante. Les conduites d’évacuation des eaux usées sont toujours en train d’exploser, ici et là, et ça inonde le sol partout. On ne fait pas vraiment partie de la ville », me confie un habitant du camp. «On supplie encore et encore les autorités de venir nous aider à nous débarrasser de la criminalité qui règne ici et du trafic de drogue, mais personne ne s’en soucie. Espérons que les choses vont bientôt s’améliorer.  » Et quand on lui demande, « quand ? », il répond : « Allah seul le sait. Le gouvernement israélien ne nous considère pas comme faisant partie de la ville de Jérusalem. Mais il y a des Juifs qui se préoccupent de nous et qui essaient de nous aider à améliorer notre niveau de vie. En attendant, on fait ce qu’on peut pour tenir le coup, on vivote ».

Isawiya, est le village qui jouxte le quartier juif appelé « French Hill ». C’est une autre pièce du patchwork urbain qui compose la ville de Jérusalem. Une unité de la police des frontières est stationnée au sommet de la colline qui surplombe le village. Ils surveillent, les jeunes locaux, prompts à créer des problèmes. Les habitants des villages environnants ne peuvent y entrer librement.

A Isawiya aussi, les dirigeants du quartier font de leur mieux pour que la vie quotidienne suive son cours, et que les institutions et les services publics, comme les écoles et les centres communautaires, fonctionnent normalement. Mais la plupart d’entre eux estiment qu’on les néglige. « Nous faisons en sorte de maintenir le calme dans le village, mais la colère couve », dit un jeune résident du village.  » Et même quand il ne se passe rien, il suffit qu’une jeep de la police des frontières descende la rue principale, pour que les échauffourées reprennent. Mais vous voulez savoir ce qui est le plus étrange? Ben, c’est qu’il n’y en a pas beaucoup parmi nous qui préfèreraient vivre avec l’Autorité palestinienne, vu que c’est le bordel là-bas aussi. « 

Un vivier de terroristes

Les quartiers de Jérusalem Est ont fait les manchettes il y a quelques semaines, suite à l’attentat terroriste qui a ensanglanté la promenade de Armon Hanatziv, et coûté la vie à quatre soldats. Le terroriste était un habitant du quartier Jebl Mukaber. Jérusalem compte actuellement 850 000 habitants. Environ 310 000 d’entre eux sont des Arabes, qui vivent à Jérusalem-Est. Ils n’ont pas la citoyenneté israélienne. Ils ne bénéficient que du statut de résident permanent. Par conséquent ils n’ont pas le droit de voter aux élections nationales.

En revanche, ils peuvent voter aux élections municipales, un droit dont ils choisissent majoritairement de ne pas profiter. La vie quotidienne des habitants de Jérusalem-Est n’est pas simple. Elle est très différente de la vie des Arabes ayant la citoyenneté israélienne ou des Arabes qui vivent dans les territoires disputés, communément appelés ‘Cisjordanie’. Jérusalem-Est est une société fragmentée, politiquement passive. Sans leadership unifié, sans organisations sociales, ni institutions culturelles. La plupart des habitants vivent dans la pauvreté, sans perspective d’avenir. Les routes sont en train de s’effondrer. Les services publics sont déplorables. Sans compter les discriminations qu’ils subissent au quotidien. À mesure que les quartiers arabes passent d’une société patriarcale traditionnelle à une société moderne plus individualiste, les taux de divorces et de violences conjugales dont sont victimes les femmes et les enfants, augmentent.

Un patchwork urbain qui relève du casse-tête

Selon le professeur Yitzhak Reiter, qui dirige l’équipe de mappage de Jérusalem-Est, à l’Institut de recherche stratégique sur les politiques administratives de Jérusalem, il existe 22 quartiers à Jérusalem-Est. La plupart étaient au départ des villages différents, qui ont peu à peu été ajoutés à l’Etat d’Israël en 1967.

Au nord, se trouvent Beit Hanina, Shuafat, le camp de réfugiés de Shuafat, Kafr Akab, Ras Shahada, Ras Hamis et Isawiya. Au sud, Walaja, Sur Bahir, Umm Lisan, Umm Tuba, Jebl Mukaber, Ras al-Amoud, Silwan, Esh-Cheikh, Beit Safafa et Sharafat. De plus, un certain nombre de quartiers, qui étaient sous contrôle jordanien, ont également été annexés à Israël: la vieille ville, Bab Sahara, Wadi Joz, Cheikh Jarrah et E-Tur, qui comprend Sawana, où vivait Faisal Husseini, membre actif au sein de l’OLP. La grande majorité des habitants de Jérusalem Est sont musulmans. 46% sont âgés de moins de 18 ans, 36% sont au chômage et 51% vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ils bénéficient de passeports jordaniens, ce qui ne leur confère aucun droit réel.

Les résidents de Cisjordanie les considèrent comme des traîtres, parce qu’ils ont des cartes d’identité bleues. En revanche, pour les autorités israéliennes ce ne sont que des résidents, pas des citoyens. Selon Reiter, l’attaque d’Armon Hanatziv est due à une corrélation de facteurs: il y a d’abord le marasme économique qui règne dans ces quartiers et le sentiment de n’avoir rien à perdre, largement répandu parmi cette population. De plus, elle est persuadée que le gouvernement israélien soutient des organisations idéologiques et religieuses, dont le but est de s’emparer de la mosquée al-Aksa. Et enfin, la frustration devant l’impasse politique qui s’annonce suite à l’élection de Donald Trump, et son intention de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem, joue un rôle qui n’est pas négligeable non plus.

Des tentatives louables qui tombent à l’eau

Après la guerre de 1967, la municipalité a voulu repousser les frontières de la ville, pour qu’elle puisse s’étendre géographiquement et se développer économiquement, tout en consolidant l’acquis territorial. « Beit Hanina et Shuafat ont d’abord été rattachés à la ville, afin que l’aéroport d’Atarot fasse partie de Jérusalem », explique Reiter. « L’objectif était de pouvoir en faire l’aéroport international de Jérusalem. Comme nous le savons, ce projet est tombé à l’eau. E-Tur a été rattachée à Jérusalem, afin de nous assurer le contrôle du versant oriental de la vallée du Jourdain. Quant au village d’Isawiya, il est venu s’ajouter à la ville suite à l’accord de Rhodes*, et aujourd’hui ses résidents souffrent de privations sévères et d’un manque d’infrastructures criant, et ce quartier est le théâtre de violences récurrentes. Les forces de sécurité israéliennes ne s’aventurent même plus à l’intérieur de cette zone. « 

Fin 2015, Haim Ramon et le Conseil national de sécurité ont élaboré un plan, visant à parvenir à un retrait unilatéral de la plus grande partie de Jérusalem-Est, afin qu’elle fasse partie intégrante de la zone B. A l’exception de Silwan, la vieille ville, ainsi que du Mont des Oliviers, restant sous contrôle israélien, l’administration civile de ces autres quartiers devaient être transférée à l’Autorité palestinienne, qui aurait eu la responsabilité d’assurer son bon fonctionnement. Dans ce cas, le rôle de la Force de Défense Israélienne se limiterait aux questions de sécurité. Selon ce plan, les résidents juifs ne seraient pas expulsés, mais autorisés à continuer à vivre dans ces quartiers.

Problèmes objectifs et subjectifs

Reiter divise les problèmes en deux catégories: les problèmes subjectifs, auxquels le gouvernement peut apporter des solutions afin d’améliorer, voire régler la situation, et les problèmes objectifs.

Les piètres infrastructures figurent en tête de liste des problèmes subjectifs. «Dans certains quartiers, seule la route principale est pavée correctement et dispose de trottoirs», dit Reiter.  » Les problèmes de voierie sont multiples, il n’y a ni trottoirs, ni panneaux de signalisation et on peut se garer nulle part. Ce qui n’empêche pas les contredanses, parce que c’est toujours interdit de se garer dans pas mal d’endroits.

Les dirigeants de ces quartiers sont en pourparlers constants avec la police, mais rien n’est encore réglé.  » Le deuxième problème subjectif c’est la planification foncière. «Il n’y a pas eu de colonisation à Jérusalem, dit Reiter. «Le processus d’obtention des permis de construire est très compliqué et par conséquent, il y a beaucoup de constructions illégales qui voient le jour. Même lorsqu’un projet immobilier est lancé, il est en-dessous des besoins en matière d’unités de logements et donc forcément, les constructions illégales continuent de sortir de terre. C’est ce qui s’est passé à Jebl Mukaber.

Dans Nof Zion, le quartier juif qui borde Jebl Mukaber, où vivent quelques dizaines de familles, le taux de construction est de 340%. Alors qu’à Jebl Mukaber, qui compte 20 000 résidents, le taux de construction n’est que de 170% », explique Reiter qui pointe aussi la pénurie aiguë d’établissements scolaires. Par conséquent, de nombreux cours ont lieu de façon informelle, dans des résidences privées. En outre, il n’y a presque pas de terrains de jeux pour enfants. Pour tout Jérusalem-Est, il n’y en a que trois.

Le troisième problème subjectif est celui des services publics et tout particulièrement ramassage des ordures ménagères. Contrairement au reste de Jérusalem, où chaque bâtiment bénéficie de sa propre poubelle communale, à Jérusalem-Est il n’y a que quelques énormes conteneurs d’ordures verts, disséminés sur les grands axes qui se remplissent rapidement. Beaucoup de petites rues sont trop étroites pour permettre le passage d’une benne à ordures. A Sur Bahir, par exemple, les camions benne ne peuvent accéder qu’à environ 30% des rues. Dans les autres 70%, les résidents sont priés de transporter eux-mêmes leurs ordures jusqu’au container à ordures le plus proche, qui peut se trouver parfois jusqu’à un kilomètre de leur habitation.

La municipalité avait promis de fournir aux résidents de Sur Bahir de grands sacs en plastique, et d’organiser le ramassage des ordures ménagères dans les rues étroites, avec des tracteurs, mais ils les attendent toujours. Et bien sûr, il y a le problème des familles juives qui vivent dans les quartiers arabes, ce qui est la cause de grandes tensions, et ce depuis des années.

Par exemple, des familles juives ont déménagé dans la Cité de David à Silwan, dans Nahalat Shimon à Sheikh Jarrah, dans Nof Zion à Ras el-Amud et dans Jebl Mukaber et Ma’aleh Zeitim à E-Tur. Certains des terrains qu’ils ont revendiqués avaient déjà été achetés par des juifs au XIXe siècle. « Regardez Abu Tor, par exemple: la partie ouest est juive et la partie orientale est arabe. Le côté juif est propre et le côté arabe est sale. C’était la même chose du temps [du maire] Teddy Kollek. Teddy a certainement fait beaucoup pour détendre l’atmosphère et créer le dialogue, mais il n’avait pas beaucoup de budget. Sa campagne de communication a été très réussie mais sur le terrain, ça n’a débouché sur aucun résultat réel. « 

Reiter précise aussi que de son côté, la communauté palestinienne ne fait aucun effort pour coopérer avec la municipalité de Jérusalem, car aux yeux de leurs pairs, cela reviendrait à légitimer et accepter ce qu’ils appellent l’occupation israélienne’. «Si seulement ils voulaient y mettre un peu du leur, ils pourraient exiger de bénéficier des services auxquels ils ont légalement droit. Au lieu de cela, ils obéissent aux directives de leurs mukhtars, qui sont incapables de gérer eux-mêmes les problèmes « , déplore Reiter. « Et comme ils construisent des maisons illégalement n’importe comment et n’importent où, ils entravent la construction d’établissements publics et de routes, par la municipalité.

Il y a un énorme conflit culturel qui se joue ici, puisque dans la culture du Moyen-Orient, les individus ne prennent jamais la responsabilité des espaces publics », insiste Reiter. « Le citoyen israélien considère la police comme une force de sécurité, et non comme un prestataire de services. La communauté arabe, pour sa part, considère la police comme une force de dissuasion. La police a tendance à se placer près des écoles, de sorte qu’ils attirent les jeunes qui s’ennuient comme un aimant. On aimerait leur faire comprendre qu’il y a deux types de policier : le vert et le bleu. Le vert (qui appartient à la police des frontières) est là pour faire respecter le calme et le bleu (la police standard) doit être perçu comme une police de proximité qui là pour rendre service et régler les problèmes de tous les jours. Je dois dire qu’il y a eu une augmentation évidente de la présence de la police à Jérusalem-Est depuis l’été 2014. « 

Enfin, le problème du trafic d’armes reste entier. Il y a exactement un an, une Commission du ministère de l’Intérieur et de l’Environnement de la Knesset a tenu un vif débat sur les armes illégales dans le secteur arabe. Les Députés de la ‘Liste Arabe Unifiée’, ont affirmé que la police ne faisait pas assez pour éradiquer ce problème.

Le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a répondu que les forces policières faisaient de grands efforts pour faire appliquer la loi dans les quartiers arabes, mais qu’elles rencontrent de nombreuses difficultés en raison de l’opposition active des résidents à la présence de policiers juifs. «La municipalité ne dispose pas de ressources suffisantes pour pouvoir faire face efficacement à tous ces problèmes. Il faudrait des milliards de shekels pour combler l’écart qui règne entre les parties orientale et occidentale de la ville.

À l’Institut de Jérusalem, nous planchons sur des solutions réalistes et concrètement réalisables, comme la participation des dirigeants de la communauté arabe, au processus de planification et de zonage, et nous élaborons des projets qui pourraient être mis en œuvre à court terme. Pour que la situation s’améliore, l’idée est de se concentrer sur de petits projets spécifiquement ciblés, qui pourraient être supervisés par des dirigeants arabes locaux.  » «Les services publics à Jérusalem-Est sont encore pires que dans les villages arabes de Cisjordanie», affirme le Député Yaakov Peri (Yesh Atid), ancien chef du Shin Bet. « La déliquescence ici est criante. Il y a urgence à trouver des solutions alternatives.

En outre, les habitants de Jérusalem-Est entrent et sortent de Jérusalem à pied ou en voiture sans être inquiétés ni par la police, ni par l’armée, car ces zones sont théoriquement sous le contrôle des forces de sécurité de Jérusalem et non de la Force de Sécurité Israélienne. Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle impacte dangereusement la sécurité de tout le pays. Alors quand il y a un regain de tensions, ce n’est pas étonnant que les terroristes de type ‘loup solitaire’, choisissent de commettre des attentats dans ces quartiers.  » « L’Etat d’Israël n’a pas encore décidé de ce qu’il veut vraiment faire de Jérusalem-Est », affirme Reiter. « D’une part, sa rhétorique récurrente est de clamer que Jérusalem est une et indivisible.

Mais si l’on regarde ce qui s’est passé lors de la réunification de Berlin, on se rend compte que de grands efforts ont été fait pour réduire l’écart entre les niveaux de vie de Berlin-Ouest et Berlin-Est, en équilibrant les investissements dans les deux sections de la ville, en fonction des besoins réels. C’est loin d’être le cas à Jérusalem.

Israël n’a pas non plus accordé la nationalité israélienne aux citoyens arabes de Jérusalem-Est, préférant leur octroyer un statut de résident temporaire. Si nous voulons vraiment prôner et réaliser concrètement l’unité de Jérusalem sur le terrain, il va nous falloir impérativement réduire ce gap entre les deux populations et offrir aux habitants de Jérusalem-Est le même statut et les mêmes droits, dont bénéficie n’importe quel autre citoyen israélien. »

CARMIT SAPIR VITZ Jerusalem Post – version française Kathie Kriegel

  • Accords de Rhodes ou Convention d’armistice de Rhodes, sont des accords d’armistice israélo-arabes qui ont mis fin à la guerre entre les deux communautés entre 1948 et 1949. Ils ont été ratifiés le 24 février, entre l’Égypte et Israël pour fixer la frontière israélo-égyptienne

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Abraham BRAMI

Les deux Jérusalem ; radioscopie d’une fracture

Le problème depuis la guerre des six jours, l’Etat des Juifs n’a jamais eu une politique offensive sur l’ensemble de la cité sainte des Juifs : Jérusalem et sur le territoire libéré de la Cisjordanie. Alors, qu’à l’origine cette partie du territoire des Israélites et la Jérusalem Est de la cité de David, aurait due être négocier avec Jordanie. La Jordanie occupait illégalement une partie de Jérusalem que les forces de Défense juives n’ont plus conserver malgré les lourds sacrifices de ses enfants. L’armée de mercenaires des forces jordanienne commandée par un anglais qui a, pour la circonstance, revêtu le non de CLUB-PACHA.

Aujourd’hui, il faut trancher le nœud soit le défaire par la négociation soit le trancher !

Soliloque

Oser comparer Jerusalem à Berlin est une grave erreur!
les civilisations sont à l’opposé sauf à considérer que des nazis sont à l’origine de l’idéologie meurtrière des palestiniens ou arabes tout simplement
Quand au niveau économique il n’a absolument rien à voir dans le capacité ou non de s’intégrer à Israël. ùLes arabes peuvent devenir citoyens israéliens s’ils en font la demande, et on n’envahit pas le sol sans permis de construire