75 ans après le soulèvement du ghetto de Varsovie, les héros juifs nous rappellent le prix de nos libertés

Pour la première fois depuis la chute du rideau de fer, la commémoration aura lieu dans un contexte sans précédent de crise.

« Le rêve de ma vie s’est réalisé. L’auto-défense du ghetto est une réalité. La résistance juive armée et la vengeance se matérialisent. Je suis témoin du merveilleux combat des héros juifs. » Voici les mots qu’écrit Mordechai Anielewicz, jeune juif polonais propulsé chef de l’insurrection du ghetto de Varsovie après plusieurs heures de combat débuté le 19 avril 1943 contre les SS allemands.

Du 19 avril au 16 mai 1943, plusieurs milliers de résistants juifs, à l’aide de mitrailleuses et de cocktails Molotov artisanaux, réussirent l’impossible en repoussant momentanément l’armée allemande venue pour une énième rafle.

Certes… l’espoir fut de courte durée lorsque Jürgen Stroop, Brigade Führer SS, décida d’incendier tous les bâtiments du ghetto pour un bilan de 13.000 juifs morts brûlés vifs ou asphyxiés et 42.000 déportés. Mais, là où lui écrivait dans son rapport que « le ghetto de Varsovie n’est plus », nous avons retenu dans nos mémoires le symbole le plus important d’acte de résistance juive contre le joug nazi.

Aujourd’hui, le 19 avril 2018, nous commémorons le 75e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie.

Hélas, pour la première fois depuis la chute du rideau de fer, la commémoration aura lieu dans un contexte sans précédent de crise polono-juive provoqué par l’amendement de la loi sur l’Institut de la mémoire nationale, qui criminalise toute déclaration faisant des Polonais les responsables de crimes commis pendant la guerre.

C’est un message extrêmement pessimiste qu’a envoyé le gouvernement polonais en faisant fi des progrès incroyables accomplis par la Pologne dans l’introspection de son histoire pendant la Shoah.

Certes, il y avait les héros qui risquaient leur vie pour aider les Juifs (la Pologne compte le plus grand nombre reconnu de Justes parmi les Nations), notamment en 1942 avec le Conseil polonais pour aider les juifs (Żegota), une organisation clandestine de résistance polonaise fournissant nourriture, soins médicaux, argent, secours et faux documents d’identité pour les Juifs qui ont essayé de s’échapper des ghettos.

Néanmoins, on ne peut oublier les mots de Szmul Zygielbojm, membre du Conseil national du gouvernement polonais en exil à Londres, qui témoignent de l’indifférence de certains et/ou de la complicité d’autres Polonais pour aider les nazis dans leur plan d’extermination: « je ne peux pas rester silencieux et je ne peux pas continuer à vivre quand les restes du peuple juif meurent en Pologne. »

Le gouvernement polonais doit comprendre que ce travail douloureux mais courageux ravivé à juste titre depuis l’automne par des érudits et quelques hommes et femmes politiques polonais est indispensable pour penser la Pologne de demain.

Il n’est pas question de nier le fait que la Pologne a été l’un des pays qui a le plus souffert pendant la Seconde Guerre mondiale avec trois millions de chrétiens et trois millions de juifs polonais morts, qu’elle mena des actions de résistance contre les nazis à la fois intellectuellement et militairement et que son gouvernement en exil n’est jamais entré en collaboration.

C’est justement en se confrontant à toute l’Histoire, à chacune de nos « histoires », à leur complexité, avec tout ce que cela implique de courage politique, que l’Histoire peut servir à mieux affronter le présent et l’avenir.

A un moment où tant de jeunes, tenant pour acquis nos libertés, sont en perte de repères, l’insurrection du ghetto de Varsovie nous rappelle que certaines valeurs valent la peine d’être défendues. « Il faut parfois descendre au fond du puits pour apercevoir les étoiles », disait Vaclav Havel, l’ancien Président tchèque.

L’insurrection du 19 avril 1943 nous rappelle que la victoire contre le fascisme, contre les idéologies destructrices, n’a pas été facilement acquise et que la liberté se gagne au prix d’un douloureux apprentissage.

Le soulèvement du ghetto de Varsovie nous rappelle aussi que la défense de valeurs démocratiques, libérales, universelles, tient souvent à peu de choses, parfois au seul courage d’une poignée de quelques hommes, à ces étincelles d’humanité qui jaillissent en dépit de la barbarie qui semble avoir emporté tout ce qu’il en restait.

Puisse la mémoire de ces résistants juifs polonais être partout et toujours défendue, honorée, entendue, en Pologne, en Europe et ailleurs. Puisse le message d’espoir et de courage face à la haine, au désespoir, à la brutalité, ce message dont les résistants du ghetto de Varsovie nous ont fait les dépositaires, toujours triompher.

Et, comme symbole éclatant de ce triomphe, Israël -aboutissement d’un rêve resté utopiste pendant des siècles, victoire d’une lutte pour l’indépendance qui semblait perdue d’avance– célèbre, ce 19 avril 2018, son 70e anniversaire.

  • Par Simone Rodan-Benzaquen et Agnieszka Markiewicz
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    Agnieszka Markiewicz

    Directrice d’AJC Europe Centrale

  • Agnieszka Markiewicz est la directrice d’AJC Europe Centrale, dont le siège se trouve à Varsovie. AJC Europe Centrale couvre les sept pays de la région (4 pays Visegrad et 3 pays baltes). Auparavant, Agnieszka Markiewicz était la directrice des relations extérieures au « Forum pour le Dialogue », une ONG basée à Varsovie qui travaille sur le dialogue et la réconciliation judéo-polonaise.
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    Simone Rodan-Benzaquen

    Directrice d’AJC Europe (American Jewish Committee)

    Directrice France de l’American Jewish Committee, et directrice AJC. Simone Rodan Benzaquen a été nommée la représentante de l’American Jewish Committee en France en avril 2010. Elle rejoint l’AJC après une carrière dans la politique et le militantisme en France et en Europe. Elle a été conseillère de François Zimeray, ambassadeur pour les Droits de l’Homme et elle a co-fondé et assuré le Secrétariat général de MedBridge Strategy Center, une organisation créée en 2003 qui cherche à promouvoir une meilleure relation entre l’Europe et les tenants de la démocratie au Proche Orient. Dans son rôle de Secrétaire Générale de MedBridge elle a organisé de nombreux déplacements pour plus que 450 parlementaires en Jordanie, en Israël, dans les territoires Palestiniens et en Egypte et entretient des relations priviligiées avec des chefs d’Etats, des ministres et parlementaires au Proche-Orient et en Europe. En 2006 Simone Rodan Benzaquen se mobilise pour le Darfour. Avec d’autres, elle fonde SOS Darfour et prend une part décisive dans l’organisation de la campagne européenne pour cette cause. En 2007, elle organise notamment le déplacement de Bernard-Henri Lévy dans les camps de réfugiés du Darfour au Tchad et rédige avec le Collectif Urgence Darfour une plateforme d’engagement signée par les principaux candidats à l’élection présidentielle française. De nationalité allemande, Simone Rodan-Benzaquen vit aujourd’hui en France. Elle a une licence en droit du King’s College London, un Master en Media et Communications de la London School of Economics (LSE), et un Master de Recherche en relations internationales de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris.

www.huffingtonpost.fr

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