L’Histoire est effrayante: elle nous dit, quand nous voyons affluer les vagues migratoires vers une Europe gagnée par le « populisme » et cernée par les dictatures, que le pire peut arriver, comme en 1940. Mais elle peut être stimulante.

Pourtant, si Macron, célébrant l’anniversaire du Débarquement, regarde soixante-quatorze ans en arrière, il trouvera peut-être de quoi se réconforter. Nous aussi.

6 juin 1944. Dans la nuit, 6697 navires, chargés de centaines de milliers de soldats, anglais, américains, canadiens et français ont quitté les ports britanniques. 14.600 bombardiers et chasseurs les soutiennent. Après quatre ans d’occupation du territoire national par les nazis, arrive enfin, pour la France, l’été de la Libération.

Mais le Général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République, installé à Alger, n’a été informé qu’à la dernière minute du débarquement sur les côtes normandes: convoqué le 4 juin en urgence, à Portsmouth, il a appris de la bouche de Winston Churchill et de celle du Général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, que le déclenchement de l’opération était prévu pour le surlendemain.

Colère de De Gaulle: non seulement il n’a pas été associé à la décision, mais on lui demande de prononcer, à l’adresse des Français, un discours radiodiffusé qui suivra et appuiera celui d’Eisenhower.

Or, il découvre que le président Franklin D.Roosevelt a prévu l’installation en France d’une administration militaire américaine et le remplacement de la monnaie nationale par le dollar.

Pendant une heure trente, dans le huis-clos du wagon battu par la pluie où le Premier ministre britannique a installé son QG, de Gaulle et Churchill vont s’affronter et, par brefs instants, sympathiser.

GETTY IMAGES 74 ans après le Débarquement, cette pièce nous fait revivre l’incroyable face à face entre Churchill et De Gaulle.

Sous le titre « Meilleurs Alliés » -une pièce qui triomphe, après une tournée en France et un détour par Bruxelles, au Théâtre du Petit Montparnasse– l’écrivain Hervé Bentégeat fait vivre leur dialogue savoureux. Extraits:

De Gaulle – Ce sera la bataille de France!

Churchill – Oui. Sauf que ce ne sont pas des Français qui vont mourir sur les plages normandes mais des boys anglais, américains, canadiens… La France, c’est quoi? Combien de divisions? 40.000 hommes tout au plus, dispersés… Et les Français libres? 80.000? équipés des rebuts de l’armée américaine!

***

Churchill – Mais dites-moi, de Gaulle: comment allez-vous faire, dans ce pays ingouvernable?

De Gaulle – Je vais jouer la comédie, évidemment! La France a perdu une guerre, je ferai croire aux Français qu’elle l’a gagnée. La France libre, cette équipée de bouts de ficelle, j’en ferai une épopée! Je gonflerai les chiffres de la Résistance. Pour que les Français de l’an 2000 soient convaincus que leurs grands-parents ont vaillamment combattu… »

***

Churchill – Ça fait quatre ans que je supporte votre raideur, votre susceptibilité maladive…

De Gaulle – Et vous, M. Le Premier ministre du Royaume Uni? Vous êtes devenu le vassal de Roosevelt!

Churchill – Vous n’avez rien compris, de Gaulle! C’est l’Amérique qui va dicter sa loi au monde. L’Amérique qui a les divisions, l’argent, les machines, et qui est en train de préparer la bombe nucléaire qui nous protégera de Staline…

***

C’est vif, souvent très drôle. Mise en scène avec sensibilité par Jean-Claude Idée et magistralement interprétée par Pascal Racan et Michel de Warzee qui incarnent de Gaulle et Churchill, cette tragi-comédie nous fait découvrir combien fut grande la solitude de De Gaulle, mais aussi celle de Churchill tout au long d’une guerre planétaire effroyable.

De Gaulle, 53 ans, joue là l’avenir de la France et le sien: si la population française l’accueille en héros à son arrivée en Normandie, les alliés devront compter avec lui. Sinon…

Churchill, 69 ans, épuisé par les nuits sans sommeil et la hantise de l’invasion allemande mais aussi par l’alcool, est, lui, hanté par le souvenir des milliers de soldats britanniques envoyés à la mort vingt-huit ans plus tôt dans les Dardanelles. Il aurait débarqué lui-même à la tête de ses troupes si le Roi George VI ne l’en avait empêché.

Bientôt, après avoir célébré la victoire, tous deux, chassés par des peuples ingrats, vont perdre le pouvoir. Mais tous deux vont entrer dans l’Histoire comme des héros nationaux. Et comme de grands artistes.

« Meilleurs alliés« , de Hervé Bentégeat, théâtre du Petit Montparnasse, Paris (jusqu’au 30 juin).

Christine Clerc

 

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andre

« le remplacement de la monnaie nationale par le dollar. »

Je ne crois pas: plutot par une monnaie d’occupation provisoire. Il a fallu toute la force de Churchill pour que
la France ne soit pas, a la fin de la guerre, considere comme un pays vaincu. Churchill fut, en 1945 comme en 1940, le veritable sauveur de la France. Ignorance et ingratitude des peuples …