25 ans après, que reste t-il d’Oslo?

 

 

  • Rabin, du répresseur de l’Altalena à l’homme d’Etat 

Le 4 Novembre 1995- selon certains, dont Enderlin,- signe la fin de la lune de miel d‘Israël avec la paix. Le livre « Le rêve brisé » rend hommage à la stature du Premier Ministre assassiné. Mais, l’homme était-il l’unique dirigeant ayant la trempe qu’il faut pour mener le processus à terme ? Est-ce la paix, autant que l’homme, qu’on a assassinée, ce soir-là ?  Pourquoi la perte humaine et institutionnelle d’un 1er ministre ne serait pas, tout simplement, un désastre pour la nation toute entière ?

La question centrale concerne ce que doit être l’homme d’Etat : comment négocier en pilotant au-dessus des factions, dans le sens de l’intérêt général ? Rabin, lui-même, pose l’équation :

Il faudrait « combattre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de négociations, et négocier comme s’il n’y avait pas de terrorisme ».

Cette jolie formule tient du casse-tête. Elle vise, plutôt, une « gestion du conflit »  que sa résolution en tous points. Comment peut-on « faire comme si », en situation d’équilibriste entre guerre et paix, sans risquer de s’adonner à un simulacre ? Comment s’éviter de renforcer une opposition intérieure, à chaque nouveau « drame » (vague d’attentats sans précédent) ? Cette expression consent à l’idée, chère à la partie adverse, que la terreur peut avoir une visée politique limitée, si et tant que les pourparlers se poursuivent. Est-ce admettre que les attentats « seraient le prix à payer » pour parvenir à la paix ?

La question suivante est celle de la double-référence du Sionisme, fondateur de « l’état Juif et démocratique ». Le jeu entre ces deux pôles définit l’espace politique israélien : on peut être Juif et laïc, postmoderniste ou/et religieux, pacifiste ou/et partisan de la légitime défense, mais héritier d’une même transmission… Le conflit politique interne tourne au clivage, dans la période qui précède le meurtre de Rabin.

« Le rêve brisé » (d’Enderlin) ne répond pas à ces deux interrogations centrales, mais creuse la faille : une fois gommées toutes les contradictions de l’icône, le « péché originel » de l’échec du processus retombe sur la tête de ses adversaires de droite…

On ne peut occulter le contentieux entre I. Rabin et la droite israélienne : jeune officier, il a coulé, au nom de l’unité, le navire l’Altalena, porteur d’armes clandestines pour l’Irgoun, le 22 juin 1948[1]. L’ordre vient de Ben Gurion, sur anticipation du futur chef du Mossad, Isser Harel (qui capture Eichmann, en 1960) : « Ils [Begin et les réseaux révisionnistes de Droite] préparent un putsch ! », suppose cet homme fort, qui a bâti la légende du service. Irgoun- Lehi et Haganah sont, théoriquement, en phase de fusion pour former Tsahal.  Begin affirme vouloir équiper « ses » troupes face à une contre-offensive des armées arabes. C’est parfaitement plausible, dans le contexte de la naissance de l’Etat et de la Guerre existentielle d’Indépendance. Le maître-espion Harel serait à l’origine d’une autre inférence du même ordre : il incite le Premier Ministre Lévi Eshkol à rejeter l’invitation, lancée par Nasser à Meïr Amit, son successeur à la tête de l’agence d’espionnage, de rencontrer secrètement le chef des renseignements égyptiens, en 1966, pour étudier une proposition égyptienne[2]. La règle en la matière est, pourtant, de discuter, à toutes fins utiles (prendre le pouls de la partie adverse et évaluer ensuite ses intentions). Un an plus tard, c’est la conflagration régionale des « Six Jours ».

De 1974 à 77, Rabin poursuit de ses foudres les résidents des implantations. Il exige du Général Motti Gour qu’il emploie la force, quitte à ouvrir le feu, pour les déloger. Gour décline l’ordre, conscient du climat de guerre civile qui régnerait alors… Pourtant, pas le moindre accord n’est en vue : personne ne réclame les « territoires », depuis le « triple non de Khartoum ». La paix n’est pas encore signée avec Sadate, qui la mijote secrètement, à l’insu même des services russes, américains et de Kissinger.

L’autorité du Parti travailliste s’érode, suite à la victoire in extremis de 1973 et les démissions en chaîne qu’elle a occasionnée. C’est la dernière guerre conventionnelle dans cet environnement. Begin et Sharon fondent le Likoud, en unissant toutes les factions : des implantations, des Ashkénazes libéraux, des Séfarades, partisans de l’Etat social, des Orthodoxes… Ensemble ils accomplissent le retournement de majorité, en 1977. Ils autorisent l’implantation de cent-vingt mille Israéliens, de l’autre côté  de « la Ligne Verte ».

Mais, le « faucon » Begin se refuse à toute rigidité politique, déterminé à préserver une orientation centriste : c’est lui qui crée, au sein du Shin Bet, le service de sécurité intérieure, l’unité de surveillance des activités illégales des Juifs de Judée-Samarie, en 1980. Elle sera renforcée par Itzhak Shamir, son successeur, en 1984. Plusieurs affaires accélèrent le besoin d’infiltrer les groupes « d’autodéfense » (« l’Underground » de Moshe Zer) des implantations : Bassam Shaka, maire de Naplouse (OLP, plus tard opposé à tout accord), a les jambes arrachées par une bombe ; Karim Khalaf (maire de Ramallah) est amputé d’un membre inférieur ; un projet d’attentat d’un Chrétien illuminé, contre la Mosquée du Dôme du Rocher, qui aurait provoqué une guerre mondiale entre les deux religions, est déjoué. Rabin élève cette unité au rang de brigade, en 1992.

Il est décidé à démanteler une partie des implantations, pour se débarrasser de la gestion administrative des « territoires », à l’origine de la Première Intifada (1987-1992). Pourtant, il mettra une attention toute particulière à préparer Oslo II, qui subdivise la Judée et la Samarie en Zones A, B et C, cette dernière sous juridiction israélienne et la sécurité étant, tantôt partagée, tantôt israélienne sur les 2 autres secteurs. En réalité, cette configuration respecte la notion de « veine jugulaire » de la Judée-Samarie, énoncée par Begin, par un tracé méticuleux des voies d’accès et routes, l’implantation d’une grande zone militaire dans la Vallée du Jourdain, qui permet la défense du pays jusqu’au Golan. Le tracé cartographique de Rabin laisse la possibilité de développer autant un secteur économique mixte que des zones de peuplement juif, en dehors des villes et villages gérés par l’Autorité Palestinienne, en « zone C » et dans la Vallée du Jourdain. Sur le plan militaire et sécuritaire, Rabin ne remet pas en cause les « fondamentaux géostratégiques », mais traite la question des zones de peuplement arabe qu’il  n’entend pas garder sous la tutelle d’Israël, au risque de « l’Etat binational ».

  • Des différences d’approche jamais comblées ?

Peut-on évoquer le « processus de paix » sans parler des attentes de chaque camp, et, à l’intérieur de ceux-ci, des différences de conception qui construisent des stratégies de négociation parallèles ? La formule selon laquelle il existerait un « camp de la paix » homogène, face à une opposition intransigeante, en Israël, occulte la portée de ces débats internes et met hors-jeu toute tentative similaire, menée à Droite, qui nuance ses postures idéologiques, puisque Netanyahu devra accepter « l’héritage » laissé par son preédécesseur.

D’autre part, quand a-t-on vu des foules arabes, dans les territoires ou à l’extérieur, manifester en masse sous le sigle de « La Paix Maintenant », organiser de grands happenings, comme celui du 4 novembre 1995, pour exprimer un réel désir de concorde avec les Juifs ? La négociation est un pari, une table de jeu, où on arrive en anticipant sur le risque à prendre et une distinction claire entre ce qui est « négociable » et ce qui ne l’est pas. Contre toute naïveté, ce processus correspond à la poursuite des fins du conflit par d’autres moyens (coopération sécuritaire et économique), jusqu’à leur terme acceptable par les deux parties.

Rabin voit en Oslo une occasion d’offrir une autonomie aux villes et villages palestiniens tout en assurant la sécurité à Israël[3], mais il reste méfiant, quant à l’idée de Shimon Peres d’envisager un Etat, entre Israël et la Jordanie. Ce dernier a fait effacer une clause du programme travailliste, avant les élections de 1992, affirmant que le Parti s’opposait encore à ce concept. Mais l’accord de principe de 1993 ne comporte pas, pour autant, de notion étatique comme finalité explicite. Peres mise sur la « rationalité » arabo-musulmane, pour parvenir à un « Self-government » des territoires. On ne s’appuie sur aucun fait préexistant, qui reste à construire progressivement, « de toute pièce », dit-il. Le Parti donne la prééminence au Général, plutôt qu’à l’utopiste.

S’il existe des litiges entre Rabin et la droite, on ne peut ignorer, en parallèle, la non-concordance de vues qui l’oppose à son bras droit, Peres, et leurs rapports tendus, sur une durée de plus de quarante ans. L’un est un général admiré, l’autre, un non-militaire, ayant eu, entre les mains, les leviers de la Direction Générale de la défense. Pour l’opinion, le Prix Nobel et Ministre des affaires étrangères, S. Peres est le pilier de l’entente préalable à Oslo. D’après le Ministre de la Santé (jusqu’en 1994), Haïm Ramon, Rabin a été mis devant le fait accompli des pourparlers secrets, en Norvège, qui se sont déroulés sans son aval de Premier Ministre. Selon Yaïr Hirschfeld, de l’équipe israélienne à Oslo, le chef de gouvernement élu fait, alors, signer un accord de non-participation directe de Peres aux négociations suivantes, avec la Jordanie, la Syrie et les Palestiniens[4]. Il en ira de même, sous Barak, qui fera chapeauter le futur-ex Président d’Israël (avant Reuven Rivlin) par son conseiller, Guilead Sher, lors des négociations de fin 2000, avec Arafat. Shimon Peres semble donc perçu comme un homme précieux, mais un électron libre utopiste, par l’appareil de la défense. On lui doit la construction du réacteur de Dimona, l’indépendance militaire (en coopération avec la France pré-gaullienne) et de grands projets de modernisation régionale, comme le rêve du « Grand Moyen-Orient » : il passerait par une « confédération israélo-palestino-jordanienne », sorte de marché commun proche-oriental –également approuvé par Donald Trump et ses émissaires Jared Kushner et Jason Greenblatt, quoique ce plan, semble t-il, a déjà fait long feu, mais sait-on jamais?-.

Or, depuis l’assassinat du Roi Abdallah 1er, le 20 juillet 1951, par un homme du Grand Mufti de Jérusalem, puis « Septembre Noir », en 1970, la couronne Hachémite se défie de l’OLP, au moins autant qu’Israël. Le 31 juillet 1988, la Jordanie s’est retirée de toute gestion du territoire qu’elle occupait (la Cisjordanie) pour laisser Jérusalem seul face à ses dilemmes. Ce vide juridique institue un vrai tour de passe-passe, sacralisant la notion de « territoires occupés », à revendiquer par les seuls Palestiniens. Mais, l’histoire ne se termine pas là.

Depuis fin 2012, les Américains, autant que Netanyahou, renégocient avec le Roi Abdallah II, cette même idée de confédération jordano-cisjordanienne. Trump la rappelle aux différents protagonistes, selon le témoignage de Mahmoud Abbas, en personne, en septembre 2018. Mais, dès le lendemain, Amman dément être intéressé par cette proposition. Elle ne se traduit, pour le moment, que par le pacte palestino-jordanien du 31 mars 2013, confiant la garde des Lieux Saints de Jérusalem à la couronne hachémite. Sur le plan régional, une entente tacite autour des principales menaces se consolide, avec la majorité des monarques du Golfe. Ironie de l’histoire, c’est à l’ère pragmatique de Netanyahou que le « projet utopique » de Peres reprend une consistance appréciable, aux accords sécuritaires indispensables près.

Concernant le processus d’Oslo (mené par Peres, Beilin et un panel d’intellectuels), l’option de Rabin pour « l’autonomie dans la sécurité » peut sembler restrictive et contradictoire avec le portrait tracé après sa mort : en l’érigeant comme « le seul » à pouvoir amener « la paix »- principalement, parce qu’il a libéré Jérusalem-, on doit s’interroger, sachant qu’il est facile de « faire parler les morts » : sous quelle forme, dans quel cadre ?

La notion de « statut final » (esquissée en 1993) à négocier ultérieurement ne signifie pas, à cette époque, qu’il signerait les yeux fermés la « naissance d’un Etat Palestinien ». S’il s’engage, il n’entend pas céder à toutes les exigences. Il veut éradiquer le terrorisme et rétablir l’image internationale d’Israël, mise à mal, après 1967 et l’opération « Paix en Galilée », menée au Liban, en 1982 –qui s’est soldé par Sabra et Shatila, camps massacrés par les hordes phalangistes d’Elie Hobeika, agent-double pro-Syrien-.

Il répète, à plusieurs reprises, notamment, lors de l’attribution du Prix Nobel de la paix, que c’est une erreur de concéder quoi que ce soit, avant de résoudre les « vraies causes du conflit ». Il n’est pas question d’annoncer des intentions, ni de procéder à des retraits sans une réciprocité qu’il aura grand mal à rencontrer. I. Rabin est le signataire d’accords « intérimaires », l’initiateur d’une amorce conjointe. Il ne s’est jamais prononcé sur un statut permanent. Ce principe de précaution ne minimise en rien, au contraire les mérites propres de l’ancien « Faucon » travailliste. Seulement, le récit apologétique devient un postulat, qui ne nous apprend rien, ni sur le processus lui-même, ni sur l’homme qui l’a réalisé.

A l’opposé, la démarche palestinienne est, jusqu’à ce point, déclarative, entachée de double-discours, où l’on « renonce au terrorisme », qui ne disparaît jamais vraiment. Où l’on aspire à la « paix des braves » sans jamais reconnaître les droits ni l’existence légitime de l’adversaire-partenaire. Dans ses textes fondateurs, l’OLP ne revendique ni Etat, ni ne le situe en Cisjordanie ou à Gaza. « Septembre Noir », en 1970, sur tentative de coup d’Etat à Amman, avec l’aide de Damas, indique clairement que le « territoire mythique » de la souveraineté palestinienne recherchée s’étend bien au-delà du « Jourdain jusqu’à la Mer » : si le coup de force avait fonctionné, le royaume hachémite aurait été balayé et la Jordanie rayée de la carte, au profit d’un projet de « Grande Palestine ». Elle aurait, alors, offert la profondeur stratégique nécessaire et suffisante à l’OLP pour se transformer en fer de lance et aiguillon de la grande guerre arabe contre Israël. L’histoire n’a retenu que le massacre des réfugiés et guérilleros par un roitelet implacable. Les conséquences, jamais les causes du conflit…

L’organisation veut « libérer » le peuple qu’elle dit représenter, dans un combat « par étapes », annoncé dès 1974 (par Farouk Kaddoumi). Bien des questions resteront au centre des discussions et ne trouveront jamais de compromis acceptable. On peut se demander si l’OLP n’est pas entrée dans ce cycle de discussion avec ses propres intransigeances en « tout ou rien », qui ne bougent guère, avec le temps : Jérusalem, le « droit au retour » des réfugiés de 1948 et 1967, les « frontières » d’un futur « Etat » ne font guère place à des modifications territoriales, prenant en compte, par exemple, le sort des implantations. En quoi les « input » (ou mises préalables) limitent, d’entrée, les résultats ultérieurs ?

La crédibilité de l’ouvrage « Le Rêve Brisé » de C. Enderlin repose entièrement sur sa réputation de journaliste-expert. Il ne pouvait donc laisser supposer une « collusion » entre droite et extrême-droite, sans, en contrepartie, expliquer le projet politique de Rabin (et de ses partenaires-adversaires, Peres et Arafat), ses limites éventuelles, ni les moyens qu’il mobilise pour le mettre en œuvre. Sans ces éléments de contexte, des données essentielles sont portées manquantes. Le premier chapitre prend son essor dans la stupéfaction, en choisissant de relater le seul legs mandataire du Premier Ministre par sa fin tragique. La technique est journalistique, où le pathétique emporte la conviction. Pour sortir de l’iconographie qui transpire de l’ouvrage, soumettons à contre-expertise son portrait de Rabin et d’un affrontement mortel entre les blocs, qui serait à la source de son assassinat :

Uri Dan, confident d’Ariel Sharon, membre de son Etat-major durant la guerre du Kippour, a été reporter de guerre et frère d’armes d’I. Rabin. Il le respecte profondément. Par son entremise, Sharon a soutenu Rabin, lors des élections de 1974. Ces échanges de bons procédés, soudés dans l’armée, sont à cent lieues d’une vision tranchée entre Droite et Gauche, qui se radicalise, entre 1993 et 1995. Dans son livre coécrit de 1996[5], Dan nous offre une image plus contrastée du défunt : Rabin l’a déçu, certes. Mais, dit-il, le personnage se vit comme un homme qui s’est trahi lui-même, depuis la rédaction de ses Mémoires, de 1980, où il écrit « détester Arafat ». Rabin lui affirmait encore, en 1975, que sa « plus grande victoire est d’avoir arraché la signature de Kissinger, disant que, « jamais les USA ne reconnaîtraient l’OLP, ni ne négocieraient avec Arafat ». Ses réticences marquées, lors de la fameuse poignée de main avec le chef palestinien, sur la pelouse de la Maison Blanche, sont immortalisées sur pellicule. Ce mal-être l’amène à se montrer ombrageux, contradictoire, irascible. Jusqu’au moment où il ne peut plus reculer, Itzhak Rabin comptait négocier avec les notables palestiniens des villes, et non avec l’organisation longtemps considérée comme terroriste, qu’il n’a pas de motif valable de percevoir comme « repentie ». Entretemps, l’OLP a su mobiliser ses ressources diplomatiques. Elle négocie, depuis Beyrouth, entre 1978 et 1981, pour les Américains, la libération de certains de leurs ressortissants, détenus en Iran et s’attire ainsi, les meilleures grâces de la CIA.

Dan explique, aussi, ce changement de cap par l’obstination idéologique perçue plus haut, l’influence mondaine de Léah, son épouse, admiratrice de Jackie Kennedy et sensible aux fastes de Washington, ainsi que par les perspectives économiques favorables, entre autres, à la Upper-Class israélienne tel avivienne, qui soutient le Parti Travailliste :

Des ennemis déclarés, comme le Pakistan ou les pays du Golfe (à la tête desquels les Emirats Arabes Unis), plus neutres, comme le Maroc et la Tunisie, sont prêts à ouvrir des comptoirs commerciaux, via des pays-tiers (dont Oman), tant que cela ne s’ébruite pas trop. Des alliances stratégiques renforcées, avec l’Inde ou la Turquie (jusqu’à l’avènement de l’AKP d’Erdogan, en 2002), sont dans les cartons. La Jordanie, indispensable intermédiaire modérée dans la région, ne tardera pas à mettre un terme à l’état de belligérance, auquel elle a, plusieurs fois, participé, au nom de la solidarité arabe, sans vraie conviction. Elle n’aurait, auparavant, pas pu se le permettre, à cause de la proximité de l’Irak et de la Syrie, notamment.

D’autres bénéfices secondaires du processus sont liés aux ouvertures stratégiques de l’OTAN (Italie, Grèce, Roumanie…), dont plusieurs pays intensifieront leurs échanges, au fur et à mesure.

Surtout, à tout point de vue, Israël est un des grands bénéficiaires, depuis 1991, de l’effondrement du Mur de Berlin, auquel, à sa façon, il a participé par ses victoires contre les armées dotées de divisions de tanks et d’escadrilles de chasse soviétiques et les renseignements échangés avec Washington. Beaucoup d’anciens pays du « Bloc de l’Est » se rapprochent de l’Europe, mais ont besoin d’assurer leur défense et la nouvelle donne économique, vis-à-vis du voisin et ex-parrain russe. Ils ne sont plus tenus à la rhétorique anti-Israélienne, « avant-poste de l’Impérialisme ». Il en va de même, pour certains pays arabes, s’appuyant, autrefois, sur l’URSS. D’autres pays d’Afrique subsaharienne (dont le Nigéria) s’émancipent de la tutelle de l’OPEP et des obligations marxistes, ainsi que les Asiatiques, comme le Laos, le Cambodge, le Vietnam, historiquement, bien placés pour faire la différence, dans la guerre psychologique, entre « lutte armée de libération » et terrorisme.

Les focalisations sur le « conflit » emblématique ou les « erreurs de la (seule) gauche » omettent, trop souvent, d’intégrer ces variables globales, des changements géostratégiques majeurs, qui accompagnent le « processus », et favorisent la prospérité d’un petit état confiné du Proche-Orient, en voie de désenclavement. Cette marche en avant commence lors de la Conférence de Madrid, en 1991, où d’anciens adversaires, en recherche de médiation vis-à-vis des Etats-Unis, passent par la « case » diplomatique israélienne, serrent quelques mains et renouent des liens, pour glisser sous parapluie américain.

La contrepartie de ces succès de coulisse va être une dramatisation de la scène interne et internationale, par la survivance, ou plutôt, l’inflation outrancière du spectre antisioniste. « Logiquement », il aurait dû graduellement s’estomper. C’était le « Sens », kantien, rationnel, « de l’histoire », le Progrès inéluctable auquel on devait s’attendre. Peres était persuadé qu’un « accord historique » redonnerait un élan à la gauche et susciterait une approbation internationale. Paradoxalement, c’est par l’entremise de l’ONU, dont l’U.E est un membre influent, que le rejet d’Israël et des Juifs va conserver une caisse de résonance, égale à ce qu’elle était dans les années 1970, au fil des condamnations réitérées du petit Etat Juif.

Il continuera d’être mis au ban des Nations, lorsque tout pouvait préfigurer l’inverse. « La paix », dans cette novlangue, se nourrit alors des fruits vénéneux de l’hostilité unanimiste, des pressions, des attentats, de résolutions suffisamment bruyantes pour constituer une bulle emphatique gonflée de toute sa vacuité et inonder les « zones grises » des opinions indécises. La guerre des mots se substitue au manque de moyens effectifs pour faire pression et alimente les postures (/impostures) les plus extrémistes.

S’agissant du devenir d’une même terre, s’observe un effet de vases communicants : à mesure de la reconnaissance des revendications palestiniennes, la remise en cause de l’existence d’Israël, sa dé- légitimation, s’accentuent et alimentent directement la poursuite des hostilités sur le plan idéologique et sécuritaire, qui n’a plus à voir avec la seule notion « d’échange de territoires », mais plutôt avec celle de « conquête » (Fatah, en arabe). On insiste, souvent, sur le développement de l’antisémitisme en Europe, à partir de la Seconde Intifada, soit en septembre-octobre 2000. Ses germes sont semés, bien avant (années 1960-70, avec le tournant de 1973). Depuis Oslo, l’exposé du « Sioniste occupant/voleur de terres » intransigeant, qui refuserait de « compenser » les malheurs infinis que sa seule existence provoque, s’affirme.

A la certitude de la précarité de cet Etat, face aux puissances coalisées de l’OPEP et des pays arabes, des alliés de l’URSS et de leurs dominions en Afrique/Asie, semble se substituer l’amertume envieuse et la rage de détruire, propres à un panel de régimes totalitaires subsistants de l’ère bipolaire, avec l’impulsion des « islamo-révolutionnaires » iraniens, puis leurs épigones et opposants sunnites. Le terrorisme, intellectuel et matériel, n’en prend que plus de virulence. Il va opposer, pendant plus de dix ans, les escouades de la mort du Fatah (Tanzim et brigades d’Al Aqsa) et du Hamas (Brigades Ez Ed Din al Qassam), travestie en bombes humaines, aux amants de Sion.

A croire donc, que le processus d’Oslo concernait le monde entier, sauf les Palestiniens eux-mêmes, parce que jouissant de leur idéologie et de leur statut victimaire. Il semblait les mettre à l’abri de toute responsabilité et de tout devoir de modifier, pas à pas, un comportement hérité de leurs cadres, les groupes terroristes, accoucheurs au forceps de la seule culture qu’ils connaissent : le culte de la mort. Une fois au pouvoir, institutionnalisés et bureaucratisés, ceux-ci continueront à se faire un devoir de salarier leurs commis faits prisonniers. La nouveauté, avec l’arrivée des mesures de l’Administration Trump, est simplement que les Palestiniens endurent, dorénavant, les conséquences de leurs habitudes de vie : par la réduction ou la perte des subsides liés à l’UNRWA et à la pérennisation d’un statut indu de réfugiés, sans limite intergénérationnelle ; par la perte de l’équivalent des sommes « compensatrices » versées aux terroristes emprisonnés et à leurs familles, surtout, par la reconnaissance que, dans l’alternative à l’absence de toute « résolution », Jérusalem est bien la Capitale de l’Et d’Israël. Le seul existant, faute de volonté à vouloir aboutir…

Par ©Marc Brzustowski

extrait de : 

[1] E. Jager : How the Likoud came to be ?  www.jewishideasdaily.com citant : Abraham Diskin : « De l’Altalena à nos jours » (en Hébreu).

[2] http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2013/03/when-theres-no-real-opportunity-theres-no-missed-opportun.html, au sujet des travaux du Professeur Elie Podeh.

[3] O. Savir (négociateur à Oslo) : Les 1.100 jours qui ont changé le Moyen-Orient. Paris, Odile Jacob, 1998.

[4] Y. Hirschfeld. Oslo : a formula for peace, (en hébreu) Am Oved, Tel Aviv, 2000.

[5] U. Dan, D.  Eisenberg : Crimes d’état : L’assassinat de Rabin, les attentats, Belfond, 1996.

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