French National Assembly speaker Francois de Rugy attends the questions to the government session at the National Assembly in Paris, France, September 26, 2017. REUTERS/Stephane Mahe

Le 21 mars n’est pas seulement le début du printemps: cette date marque aussi l’éclosion d’une grande loi de la République puisque ce fut le 21 mars 1905 que s’engagea, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, le débat qui allait aboutir à la séparation des Églises et de l’État.

Ce débat, voulu par les députés bien plus que par le gouvernement de l’époque, aurait pu mal tourner. Les adversaires de la réforme prédisaient persécutions et guerre civile. Les absolutistes des deux camps voulaient imposer leurs vues aux Français. Heureusement, le texte eut pour rapporteur un grand républicain, Aristide Briand, qui sut tenir le cap durant les quarante-huit séances que les députés consacrèrent à ce texte: « Une tâche qui exige avant tout du calme et du sang-froid », comme il le déclara devant ses collègues députés.

Celui que le nationaliste Maurice Barrès surnomma un « monstre de souplesse » démontra qu’on peut être souple dans la discussion, habile dans la méthode, attentif dans l’écoute, tout en restant ferme sur les principes.

Peut-être y eut-il là un apport décisif de l’esprit nantais à la grande Histoire de France: Aristide Briand porta au plus haut degré cette capacité à dialoguer pour avancer, à argumenter sans humilier – ce goût de convaincre au lieu de vaincre qui doit constituer un modèle pour nous.

Texte de compromis mais non de compromission, la loi de 1905 s’applique toujours au XXIe siècle parce que son rapporteur a recherché, sur un sujet pourtant conflictuel et controversé, ce que nous appellerions aujourd’hui un consensus.

« Le succès de la réforme ne peut être que le résultat de transactions multiples », mettait-il en garde ses propres amis politiques, sachant à quel point la question religieuse était explosive.

Dans ce domaine il est vrai, la France a tout essayé au cours de son histoire, de la monarchie de droit divin au culte de l’Être suprême, en passant par l’athéisme d’État.

Le conflit entre la République naissante et le clergé catholique causa une guerre civile – Nantes fut d’ailleurs l’épicentre de ce qu’on appela les guerres de Vendée – et c’est pourquoi Bonaparte, en 1801, tenta de retrouver un équilibre avec le Concordat: une formule qui, instituant un service public du culte, faisait des prêtres des fonctionnaires de l’État, soutiens du régime qui les subventionnait.

C’était institutionnaliser la confusion entre pouvoir politique et pouvoir religieux; et c’est pourquoi l’effort séculaire des républicains français fut d’affranchir la pensée du dogme, la loi des hommes de la loi de Dieu. Ce faisant, ils ne combattaient pas la religion en elle-même ni la liberté d’avoir la foi, mais cet abus de la religion à des fins politiques que Gambetta condamnait d’une phrase forte: « Le cléricalisme, voilà l’ennemi. »

Il faut le dire clairement: en supprimant le budget des Cultes, la Séparation a mis fin au Concordat de 1801, si bien qu’affaiblir ou contourner la loi de 1905 signifierait ipso facto renouer avec l’esprit concordataire, ne serait-ce qu’à l’échelon communal. Pour les droits de tous, pour la liberté de chacun, ce serait un immense recul.

Est-ce à dire qu’il ne faut rien changer? L’intégrisme n’a jamais rien de bon, y compris en matière de législation, et ce serait un comble qu’une loi laïque devienne un fétiche sacré.

La loi de Séparation a été modifiée plus de vingt-cinq fois depuis 1905, dans ses modalités du moins, ce qui lui a permis de suivre les évolutions de la société française. Ses deux premiers articles, en revanche, sont restés à la virgule près ceux qui furent promulgués en 1905:

« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […]. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. »

Sans même avoir besoin d’être inscrits dans la Constitution, ces principes clairs sont reconnus comme fondateurs de la laïcité à la française, un modèle émancipateur et équilibré qui se trouve aujourd’hui confronté à de nouveaux défis.

À l’extérieur, il doit être défendu et expliqué, y compris au sein de l’Union européenne où d’autres démocraties ont conservé un statut public aux Églises, financées par l’impôt. D’Israël à la Grande-Bretagne, de l’Allemagne à la Pologne, dans beaucoup d’autres pays, la laïcité est défendue par des courants politiques de plus en plus importants.

À l’intérieur, il doit prendre en compte l’émergence de débats bioéthiques presque impensables en 1905, tant les avancées scientifiques et médicales mettent en doute nos définitions de la vie et de la mort, mais aussi la réalité que constitue la présence de cultes encore marginaux en Métropole au temps d’Aristide Briand.

Le législateur de 1905, d’ailleurs, renonça sans même en débattre à étendre la loi aux territoires où l’islam était présent à l’époque, départements d’Algérie et possessions coloniales dont les populations étaient alors jugées incapables d’évoluer vers une société sécularisée.

Ceux qui voudraient encore, en 2018, exclure les musulmans de notre législation laïque ne feraient que prolonger cette conception passéiste et profondément inégalitaire, dans laquelle le bénéfice de la laïcité serait en quelque sorte une grâce, accordée aux uns et refusée aux autres.

Au contraire, la loi de Séparation traite toutes les religions sur un pied d’égalité, leur assignant les mêmes bornes tout en leur reconnaissant la même autonomie. Comme elle libéra l’Église catholique de toute tutelle politique et permit à ses fidèles de trouver leur place dans la République, elle donne aux Français de confession musulmane le cadre propice à une semblable transition.

« La loi que nous aurons faite ainsi sera une loi de bon sens et d’équité, combinant justement les droits des personnes et l’intérêt des Églises avec les intérêts et les droits de l’État, que nous ne pouvions pas méconnaître sans manquer à notre devoir », concluait Briand le 3 juillet 1905, après trois mois et demi de débats, sous les applaudissements d’une majorité qui demanda l’affichage de son discours dans les trente-six mille mairies de France.

Son objectif? En finir avec ces « questions irritantes qui, comme celle-ci, passionnent les esprits jusqu’à la haine et gaspillent en discordes stériles les forces les plus vives de la nation ». On ne saurait mieux dire que la laïcité n’est pas une opinion, mais ce qui permet à chacun de former et d’exprimer librement la sienne.

Il n’y a donc pas de laïcité « ouverte », par opposition à une autre qui serait fermée. La laïcité est en soi synonyme d’ouverture, de tolérance, de liberté d’opinion et de croyance pour tous, et c’est pourquoi il y a mieux à faire que de la parer d’adjectifs qui la réduisent au lieu de la conforter.

Née dans l’hémicycle, la laïcité doit continuer à susciter un débat démocratique de haute tenue pour affronter les défis du présent.

C’est pourquoi, en tant que président de l’Assemblée nationale, j’en appelle aux bonnes volontés de tous les horizons spirituels, pour entretenir, au regard des problématiques d’aujourd’hui, le pacte qui a rendu possible notre modèle français de paix religieuse.

À l’école, à l’hôpital, dans l’ensemble de nos services publics, il constitue un legs précieux pour le présent et l’avenir. Au Palais-Bourbon, lieu historique du débat et point nodal du consensus, j’ai donc décidé d’organiser un cycle de conférences et d’échanges, associant laïcs et croyants, professionnels et associations, élus et citoyens, pour faire le point sur notre modèle et identifier les mesures à prendre pour le faire vivre au quotidien.

Faisons fleurir un printemps de la laïcité pour la France. Remettons au goût du jour cette loi de 1905 plus utile que jamais aujourd’hui, cette loi dont Briand disait justement à ses détracteurs eux-mêmes qu’elle leur donnait satisfaction, « car elle vous aura généreusement accordé tout ce que raisonnablement pouvaient réclamer vos consciences: la justice et la liberté ».

François de Rugy Président de l’Assemblée nationale

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