Cette année, nous fêterons un cinquantième anniversaire chaotique du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Tous les pays du monde en sont signataires, à l’exception de l’Inde, du Pakistan et d’Israël. Hormis le P-5 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu, tous puissances nucléaires), les signataires s’engagent à ne pas développer ni se doter d’armes atomiques ; en échange, les puissances nucléaires ont l’obligation de leur transférer la technologie de production d’électricité nucléaire. L’Agence internationale de l’énergie atomique de Vienne (AIEA) est chargée de vérifier la bonne application de ce traité.

Dans son discours sur l’état de l’Union de janvier 2002, le président américain George W. Bush avait dit que la Corée du Nord appartenait à un « axe du mal ». Moins d’un an plus tard, elle se retirait officiellement du TNP. Dans ses vœux pour la nouvelle année 2018, Kim Jong-un a déclaré que la Corée du Nord était devenue une puissance nucléaire dotée de missiles intercontinentaux, à l’instar des Etats-Unis.
« C’est un fait, pas une menace ! La Corée du Nord est un Etat pacifique qui ne cherche qu’à se défendre ! », a insisté le dirigeant suprême. Il a ensuite tendu la main à la Corée du sud, en formulant le souhait que des athlètes nord-coréens puissent y venir participer aux Jeux Olympiques d’hiver du mois de février 2018. Les autorités de Séoul ont aussitôt réagi favorablement. Le mardi 2 janvier 2018, elles ont émis le souhait d’une très prochaine « rencontre de haut niveau » avec les autorités nord-coréennes, afin de discuter de la participation du Nord aux Jeux Olympiques se déroulant en Corée du Sud, et afin d’« améliorer les relations » entre les deux pays. Elles seraient même prêtes à reporter leurs prochaines manœuvres militaires avec leurs alliés américains, tant elles veulent faciliter la reprise du dialogue avec le Nord (qui avait été interrompu en mai 2016). Vu l’état d’esprit de son allié sud-coréen, on ne voit guère le président américain ordonner une quelconque guerre préventive contre la Corée du Nord, pour la priver de son nouveau statut de puissance nucléaire. Dans le bras de fer entre Pyongyang et Washington, c’est la première qui a donc gagné. Mauvaise nouvelle pour la non-prolifération.

Avec l’Irak et la Corée du Nord, l’Iran figurait dans l’ « axe du Mal » du président Bush. Après avoir clandestinement repris en 2002 un programme nucléaire militaire, l’Iran y a renoncé officiellement par l’accord du 14 juillet 2015, signé avec le P-5 et l’Allemagne. Régulièrement, dans ses rapports, l’AIEA constate que l’Iran respecte bien ses obligations. Malgré cela, depuis son arrivée aux affaires en janvier 2017, Donald Trump menace de dénoncer cet accord, qui constitue à ses yeux « le plus mauvais traité qu’ait signé l’Amérique dans son histoire ». Le président américain va-t-il saisir l’occasion des événements qui agitent actuellement les villes iraniennes pour agir ?
Il y a deux scénarios possibles d’évolution de la situation politique en Iran. Le scénario irénique est que les autorités de la République islamique prennent en compte le mécontentement des manifestants et décident de conduire le pays dans une voie plus libérale. Il est clair que le principe du velayat-e-faqih (le gouvernement des savants en religion) est de moins en moins acceptée par la population iranienne et qu’il est appelé à disparaître un jour ou l’autre.

Quand ? C’est toute l’énigme. Dans ce scénario, les autorités mettraient un frein à leurs expéditions extérieures, pour consacrer l’argent public à l’amélioration de la vie quotidienne des citoyens iraniens. Avec un Iran renonçant à toute prétention hégémonique régionale, l’accord nucléaire a de beaux jours devant lui.
Mais, après que le guide suprême Khamenei a qualifié, le 2 janvier 2018, les manifestants d’ « ennemis payés et manipulés par l’Arabie saoudite », le scénario noir devient hélas le plus probable. C’est celui d’une répression féroce du mouvement de protestation par les pasdarans et d’un virage vers un régime encore plus autoritaire et plus islamique. L’équivalent, toutes choses égales par ailleurs, de ce qui se passa en Chine après le massacre de Tiananmen (juin 1989). A ce moment-là, Trump n’aurait plus aucune inhibition à dénoncer l’accord nucléaire. Se sentant menacés par une Amérique appelant ouvertement au changement de régime chez eux, les mollahs reprendraient alors leur production d’uranium enrichi, replongeant tout le Moyen-Orient dans une dangereuse course aux armes atomiques.
Le pire n’étant jamais certain, c’est peut-être un scénario médian qui prévaudra. Une seule chose reste sûre : la question iranienne – et son corollaire nucléaire – restera un immense enjeu diplomatique tout au long de l’année 2018…

Renaud Girard
03/01/2018

Nous remercions Renaud Girard Professeur de stratégie et de relations internationales à Sciences-Po et chroniqueur de politique internationale au Figaro de nous avoir confié cet article. Expert en géopolitique, il a écrit plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient, intervient dans les médias et anime régulièrement des conférences internationales. Il est notamment spécialiste de la zone Afghanistan/Pakistan, du Proche-Orient (Égypte, Liban, Syrie, Israël-Palestine), de la Russie et de la Chine. Il a été invité en décembre 2014 par le Asia Center et le China Institutes of Contemporary International Relations (CICIR).
Renaud Girard exerce également une activité de conférencier et de médiateur international. Il entreprend par exemple dès 2007 une médiation entre la France et l’Iran pour l’Élysée.
Nous lui adressons bien entendu nos plus vifs remerciements pour nous avoir confié, une fois de plus, ses réflexions toujours aussi percutantes et clairvoyantes.
Leo keller -blogazoï

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