L’historien Simon Epstein dénonce le «double mythe» de l’inertie 
et de l’insouciance des Juifs avant la guerre.

Même quand elles sont visibles, les grandes crises de civilisation sont rarement maîtrisables. Tel est au fond la remarquable – et triste – leçon de cet essai très utile de Simon Epstein consacré à l’attitude du «peuple juif» dans les années qui ont précédé l’arrivée de Hitler au pouvoir. L’auteur, qui s’était déjà illustré par un travail hors des sentiers battus sur un paradoxe français (dont le sous-titre dit tout: Antiracistes dans la ­Collaboration, antisémites dans la Résistance), s’intéresse cette fois-ci à l’attitude des communautés juives dans le monde. L’historien entend dénoncer ce qu’il appelle un «double mythe», à savoir l’inertie et l’insouciance des Juifs avant la guerre. Pour Epstein, ces derniers étaient au contraire majoritairement très conscients de ce qui se tramait et les arguments que l’auteur puise dans toute une vaste littérature – brassant les continents européen, américain et asiatique – sont passionnants pour qui s’intéresse au destin du peuple juif avant son massacre. Mais on peut lire aussi son livre comme une réflexion d’une grande actualité sur la fatalité de l’histoire. Face à une catastrophe qui se prépare, les hommes les plus lucides n’ont généralement pas les moyens de la contrer, tant les forces de l’aveuglement, les esprits routiniers, notamment ceux des dirigeants (il n’est pas simple d’admettre qu’on fait fausse route) et les idéologues les plus bornés, consacrent les erreurs et accélèrent la chute.

Fermeture des frontières

Le choix de l’année 1930 était plus que judicieux. Celle-ci commence comme une année ordinaire. Certes, avec le début de la crise financière, qui frappe Wall Street depuis octobre 1929, la croyance dans les capacités autorégulatrices du capitalisme a commencé à faiblir mais la vulgate dominante depuis un siècle continue à prévaloir. Il faut dire que la crise n’en est qu’à ses débuts et elle reste encore assez peu prononcée, surtout en Europe, et même aux États-Unis, les économistes officiels continuent à répéter que «la reprise est au coin de la rue». Les frontières se ferment mais, contrairement à une opinion trop souvent répandue, ce n’est pas la crise qui a provoqué le début de ce repli. Le pouvoir américain a voté un ensemble de lois dès 1924, en pleine fête du capitalisme financier, qui a mis fin à la grande ouverture. Une histoire exacte du protectionnisme révélerait d’ailleurs bien des surprises aux thuriféraires du «doux commerce».

En 1930, même en Allemagne, l’année s’ouvre avec un certain optimisme. La police est très attentive aux débordements antisémites, surtout à Berlin, où le vice-président des forces de l’ordre est un «Juif activiste».

Une année «tranquille»

Le ciel ne s’assombrit qu’en septembre, lorsque les nazis, qui ne faisaient jusqu’alors que 2,6 % des voix, bondissent à 18,3 %. Hitler a conquis non pas le petit peuple (qui reste majoritairement de gauche) mais les classes moyennes. Ce sont elles qui font basculer le pays. Certes, Hitler assure encore qu’il n’y a rien à craindre. «Un antisémitisme qui provoquerait des pogroms (…) n’a pas sa place dans notre programme politique», déclare le futur responsable de la Shoah à un journaliste du New York Times. On connaît, hélas, la suite…

Le grand intérêt du livre de Simon Epstein est de poursuivre son enquête non seulement dans tous les pays occidentaux, de l’élargir aussi à toute l’Europe de l’Est, où les Juifs forment une «nation» en tant que telle, ainsi que la Palestine. On dispose ainsi d’un aperçu sans pareil d’une année a priori tranquille dans l’histoire du peuple juif et dans l’histoire de l’humanité. Passionnant et effrayant.

«1930.Une année dans l’histoire du peuple juif» de Simon Epstein, Stock, 340 p., 21,50 €.

Jacques de Saint Victor

Le Figaro.fr

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